On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

Pour Yacine ‘Yace’ Djebili (1978-2020) : Hommage et reconnaissance de dettes

Par • le 28/6/2020 • Entre nous

Jamais deux sans trois. Le premier hommage publié sur ce site était adressé à un ennemi récemment disparu. Le deuxième hommage, à un aîné (heureusement encore en vie) qui se retirait du journalisme vidéoludique. J’ai voulu me livrer une troisième fois à ce pénible exercice en apprenant le décès d’un autre aîné dont j’étais redevable.

Yacine Djebili, dit « Yace », a commencé à écrire sur le jeu vidéo en 2005 dans le magazine RetroGame, avant de contribuer à diverses publications (sans oublier les conférences qu’il organisait sur l’histoire du jeu vidéo et son engagement pour la commune de Fontaine où il s’était récemment installé). On citera notamment ses chroniques dans Le Serpent Retrogamer, le quatrième volume de Games History, consacré aux jeux de plate-formes, dont il était rédacteur en chef, ainsi que de nombreux ouvrages de la collection Retro Game, aux éditions Écureuil Noir. C’est justement sur le compte twitter de ces derniers que j’ai appris son décès, quelques jours après que sa disparition ait été signalée et rapportée par la presse locale.

Voilà donc quelqu’un qui a oeuvré pour transmettre sa passion et sa connaissance du jeu vidéo (notamment les jeux de plate-formes qu’il aimait tant) au public actuel. Ce qui méritait en soi qu’on honore sa mémoire. J’ajouterai une autre raison toute personnelle de lui rendre hommage. Il se trouve que j’ai eu l’honneur de rentrer en contact avec lui. A une seule occasion, certes, et à côté de ça je ne le connaissais que très peu. Mais ce fut une occasion décisive, pour moi comme pour mes quelques lecteurs. Et c’est ce souvenir que je tiens à partager avec vous.

J’ai commencé à faire des recherches sur le traitement médiatique du jeu vidéo vers le milieu des anées 2000, au moment où Yacine Djebili commençait sa carrière de rédacteur-pigiste. J’avais entendu parler de rumeurs comme quoi, parmi tous les titres blâmés pour une tuerie ou un attentat, on trouvait Super Mario. Même après avoir lu une quantité non négligeable d’âneries (surtout à l’époque), c’était tout de même difficile à croire. Mais on en parlait dans plusieurs forums, sans savoir précisément la provenance : ici on évoquait un journal, là un psychologue à la télé… Sans oublier qu’on n’avait pas autant accès que maintenant aux archives des différents organes de presse. Pendant longtemps, mes recherches pour en savoir plus ont été vaines…

Et puis, à l’occasion de la tuerie allemande de Winnenden en 2009, je suis tombé un peu par hasard sur un post du forum SHMUP (qui lui a rendu un magnifique hommage) écrit par Yace, qui était plus précis que les autres. Il m’a appris que Super Mario 2 avait effectivement été blâmé pour un fait divers précis : la prise d’otages de la Maternelle de Neuilly en 1993. Et il promettait même de révéler en MP le nom du journaliste ayant commis cette énormité.

Par l’odeur alléché, je l’ai donc contacté… et bien m’en a pris. Parce que pour la première fois depuis toutes ces années, Yace m’a fourni une piste tangible : le nom du journaliste en question, mais surtout un édito du magazine Super Power, dans lequel Jean-Marc Demoly (un grand nom de la presse vidéoludique française, dont je recommande l’ouvrage autobiographique L’Age d’or des Jeux Vidéo et de la Presse Spécialisée aux éditions Geeks-Line) s’insurgeait contre ce journaliste. Il ne restait plus qu’à fouiller dans les archives de Super Power pour retrouver cet édito, en recoupant les dates. Coïncidence : l’inestimable site Abandonware-Magazines venait de mettre à jour sa collection d’anciens numéros de Super Power, et après une brève recherche j’ai enfin trouvé ce que je convoitais » : le journal, l’auteur de l’article, et en prime, quelques extraits édifiants.

Certes, cela faisait quelque temps que je saupoudrais mes articles de citations épicées de journalistes et de personnalités politiques sur (et contre) les jeux vidéo. Mais comme il s’agissait le plus souvent de jeux « violents », on pouvait malheureusement s’y attendre. Sauf qu’avec cette mise en cause de Super Mario 2 par un grand journal généraliste (quelques années plus tard, j’ai pu mettre la main sur l’article d’origine), je suis passé soudainement de quelques petits sachets de poivre à un kilo de truffe noire du Périgord . J’en ai donc fait un assaisonnement indispensable à la plupart de mes articles, afin qu’on ne puisse plus jamais ignorer ni oublier que la presse « sérieuse » était capable d’accuser un jeu comme Super Mario 2 d’avoir inspiré et rendu fou un preneur d’otages de maternelle. Et que c’était le point de départ, en France, des discussions et accusations sur l’influence néfaste des jeux vidéo.

Le message est visiblement passé, puisqu’il a été relayé pour mon plus grand plaisir dans un article du Monde (de son côté, Yace s’est chargé de tailler un costard au journaliste en question, en ayant la gentillesse de me citer au passage). C’est un pilier important de notre connaissance du traitement médiatique du jeu vidéo. Et c’est Yacine Djebili qui en a été la fondation (en comparaison, je n’ai été au mieux qu’un maçon). Ce n’est que l’une de ses nombreuses contributions à l’histoire de ce loisir. Mais elle méritait d’être connue. Je lui devais bien ça. Nous lui devions bien ça. Adieu donc, Yace, ta princesse est désormais dans un autre château.

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est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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