On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

Le débat sur la violence vidéoludique est-il mort ? – Introduction

Par • le 30/12/2015 • Entre nous

Voilà une question qui pourrait paraître incongrue après l’article de Nadia Khouri Dagher publié la veille de Noël, qui a froissé suffisamment de monde pour que les camarades William Audureau et Martin Lefebvre se soient sentis obligés de répliquer dans le même journal. Et pourtant…

Certes, il est vrai qu’on parle du Monde, et à mon avis ce détail suffit à expliquer une bonne partie de l’attention qui a été accordé à cette curieuse diatribe, d’une candeur aussi touchante que désarmante, qui semble sortir tout droit des années 80, où notre journaliste découvre la lune à chaque paragraphe, et s’en prend pêle-mêle aux romans policiers, aux séries télévisées, aux films comme Men in Black (?), et surtout aux jeux vidéo sur lesquels son fils « a passé une bonne demi-douzaine d’années », selon ses propres dires. Si j’avais envie de l’asticoter, je lui demanderais qui, au juste, a acheté à son fils tous ces jeux qui soit disant « donnent le goût de tuer ». Et j’en profiterais aussi pour demander comment il va aujourd’hui, après « une bonne demi-douzaine d’années » passées dessus. Mais la charité me commande de ne pas contrarier les idiots du village, ou dirais-je plutôt, les « idiots du voyage » (selon l’expression inventée par le sociologue Jean-Didier Urbain), tant notre journaliste débarque en touriste sur une planète qui lui est complètement étrangère. Ce qui me paraît certain en tout cas, c’est que si elle s’était contentée de publier son cri « d’effroi », de « rage » et « d’impuissance » sur son blog personnel au lieu de le soumettre au Monde, il aurait rencontré l’indifférence gênée qu’il mérite.

Les choses en ont été autrement. Tant mieux pour moi, dans le fond, puisque cela permet à mes anciens articles d’être relayés par des lecteurs fidèles qui veulent préserver la « communauté » des pièges dans lesquels elle tombe si fréquemment, à savoir : la victimisation abusive, le lynchage, et plus généralement les réflexes automatiques qui nous ramènent toujours aux mêmes poncifs.

Tant mieux pour moi également, parce que cette pauvre chose et le mini-buzz qui s’est ensuivi m’ont donné l’impulsion suffisante pour écrire sur un sujet qui me tenait à coeur depuis longtemps.

Revenons donc à la question initiale. Elle pourrait paraître incongrue, ai-je dit, si l’on considère qu’un article dénonçant la violence vidéoludique a été publié dans un quotidien national « de référence », et que ce même quotidien a accueilli trois autres articles écrits en réponse (directe ou indirecte) au premier, sans parler de l’indignation engendrée sur Twitter. Et pourtant, un seul journal (fût-il « de référence ») et une poignée de tweets provenant presque tous de la même « communauté », c’est bien peu, surtout pour moins d’une semaine de buzz, qui a d’ailleurs été à sens unique contre l’auteure de l’article initial (ce n’est pas pour rien qu’elle parle « d’impuissance »). Sauf développement ultérieur, il aura donc suffi de trois répliques pour que chacun rentre chez soi. Trois petits tours et puis s’en vont. Qu’en restera-t-il dans quelques mois ? Qu’est-il resté de Nicolas Sarkozy ou d’Alain Bauer ? De Christophe Lambert ? De Jacques Cheminade ? D’Alain Delon ou de Bernadette Chirac ? Qui se souvient de leurs « interactions » avec nous, pour commencer ? Qui se souvient a contrario de l’époque où les polémiques liées à la violence vidéoludique avaient des conséquences réelles et concrètes, pouvaient durer plusieurs mois, s’étendre à plusieurs pays, mobiliser des personnalités médiatiques et politiques de premier plan, inspirer des projets de loi et des actions en justice ?

Je m’en souviens, moi. Parce que c’est de cette époque dont je viens. Et c’est précisément ce qui m’a donné envie d’écrire sur le jeu vidéo, et plus particulièrement sur sa part violente. Comme je l’expliquais dans un précédent article : « jusqu’à une date récente, mon sujet de prédilection était la violence vidéoludique, et tout ce qu’elle pouvait charrier comme polémiques et détracteurs. Je voulais comprendre ce qui se passait, d’où venaient les critiques extérieures, et surtout, avant tout, pourquoi nos réactions à ces critiques étaient aussi violentes. C’était quelque chose que je voulais être capable d’expliquer à mes amis et correspondants non-joueurs (ainsi qu’à moi-même, accessoirement). S’il fallait donner une raison, une seule, pour laquelle je me suis mis à écrire et à me documenter sur le jeu vidéo, c’est bien celle-là » J’y ai donc consacré un bon paquet d’années, d’énergie… d’argent aussi (parce qu’il fallait bien traquer l’information où elle se trouvait, ce qui voulait parfois dire ailleurs que sur le Net). L’écrasante majorité de mes contributions, que ce soit ici-même ou sur le site de Canard PC (peut-être moins sur Merlanfrit) a pour thème le « débat » sur la violence des jeux vidéo, ses acteurs, ses étapes, son évolution… et plus récemment, son déclin, à la fois si discret et si spectaculaire.

Ce déclin, je n’ai pas été le seul à le noter. En témoigne cet extrait d’une interview de Jérôme Dittmar (rédacteur en chef de Games) donnée il y a 2 ans par les camarades de Merlanfrit, qui se trouve être à l’origine de la question initiale :

Quand vous parlez de sujets qui dérangent, est-ce qu’on peut s’attendre à voir apparaître des dossiers ou des entretiens autour de la question du sexisme ou de la violence dans les jeux vidéo ? Ce sont des sujets qui divisent et qui méritent d’avoir et des intervenants de qualité et de la place pour s’exprimer.

Ce sont de sacrées belles tartes à la crème, le sexisme et la violence. Les mêmes qu’on nous a déjà servies mille fois avec le cinéma, et qui à chaque fois ont débouchées sur les mêmes constats stériles, pour ne pas dire débiles. Je comprends la question, de vouloir justement élever le débat, mais a-t-il vraiment besoin qu’on l’alimente encore ?

Si on devait aborder ces questions, en tout cas pour ce qui concerne la violence, ce serait pour en finir. Dire très clairement que ce sujet est nul, que ce n’est qu’un grand fourre-tout où il n’est jamais question de jeu vidéo.

Cette réponse ne pouvait que me faire réagir et réfléchir. Voilà que la raison principale (voire unique ?) qui m’a poussé à écrire sur le jeu vidéo se trouvait frappée de nullité, d’obsolescence. Pire : elle était devenue indésirable. Voilà que le patron d’un des rares magazines vidéoludiques papier restant en France se montrait désireux d’enterrer le sujet, de planter des dizaines de clous sur le cercueil, de l’ensevelir sous une grosse couche de terre, et de s’asseoir dessus pour être certain qu’il n’en sortirait plus jamais. Pourquoi cette volonté acharnée « d’en finir » ? Est-elle justifiée ? Et à l’opposé, deux ans plus tard, pourquoi cette volonté tout aussi acharnée, de la part de William Audureau et Martin Lefebvre, de prendre le débat à bras le corps suite à une poignée de diatribes insignifiantes ?

Autant de questions qui en amènent d’autre, d’ailleurs. Avant de se demander si le débat est mort, a-t-il jamais eu lieu, pour commencer ? Et puis qui en voudrait ? Qui s’intéresse vraiment à la question de la violence ? Qu’est-ce que ça peut nous faire, à nous, joueurs ?

Réponse… l’an prochain !

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est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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3 commentaires »

  1. L’ironie du commentaire de Dittmar, c’est qu’en cette fin d’année 2015 c’est… le magazine Games, qu’on s’apprête à enterrer.

  2. Fait chier… s’il y avait bien UN magazine pour lequel je souhaitais une longue vie, c’était Games… en fait, il y en avait trois : celui-là, Canard PC et JV le Mag. Mais Games était particulier, parce que je ne connais pas d’autre magazine où on pouvait aller aussi loin et aussi profondément dans la discussion sur tous les aspects du jeu vidéo.

  3. Si le débat m’interpelle, c’est parce que je ne le trouve pas totalement infondé. Oui, le JV se prête à des excès de violence — et d’ailleurs on l’a bien vu avec les réactions provoquées par Hatred, ça date pas des années 90 ça –, oui certains enfants jouent à n’importe quoi en des quantités incroyables.

    Comme je l’ai déjà dit je pense pas que ce soit un problème fort grave pour la société française, mais c’en est un, et il nous concerne plus ou moins directement.

    Partant de là je pense que c’est aux gens qui font des jeux vidéo, à ceux qui en parlent, et même pourquoi pas à ceux qui y jouent, de parler du sujet, parce que sinon le débat tourne vite au n’importe quoi.

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