On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

Bon débarras ! (si « débarras » il y a…)

Par • le 25/9/2008 • Entre nous

C’est maintenant officiel, Jack Thompson vient d’être définitivement radié du barreau. Vous pouvez aller sur Kotaku ou GamePolitics pour plus de détails. Bien qu’il puisse faire appel, il semblerait que son cas soit réglé. Il ne pourra donc plus traîner devant les tribunaux les éditeurs et développeurs de jeux vidéo « violents » au nom de familles de victimes, ni demander à cataloguer un jeu comme « nuisance publique » comme il l’avait fait avec Bully.

Cela ne veut pas dire pour autant qu’il est mis hors d’état de nuire : il va juste être un peu moins « nuisible » qu’avant. Cependant, il peut toujours s’exprimer publiquement, envoyer des communiqués de presse à droite à gauche, troller sur des forums spécialisés et même être invité sur des plateaux de télé complaisants. Il est probable aussi qu’il garde son aura auprès de certains cercles et associations en lutte contre la violence des médias. Donc si Jack Thompson l’avocat n’est plus, Jack Thompson l’activiste, lui, peut encore faire du bruit.

Maintenant, pourquoi est-ce que je le considère comme quelqu’un de « nuisible » ? Il est vrai que c’est une cible si facile. C’est l’ennemi public numéro 1 des gamers, celui qu’ils adorent détester et qui le leur rend bien. C’est aussi « l’activiste anti-jeux » par excellence, ainsi qu’on le surnomme. Mais dans le fond, je ne suis pas sûr qu’il soit réellement « contre les jeux vidéo ». En réalité, si l’on regarde de plus près, sa cause est tout à fait juste : empêcher les mineurs d’avoir accès à des produits qui ne sont pas pour eux, ce qui inclut les jeux vidéo « violents ». Je suis convaincu que c’est avant tout pour cette cause qu’il mène croisade. Et sa sincérité, sa persistance, son engagement total dans cette croisade auraient presque pu forcer mon respect.

Mais le problème vient justement de là : Jack Thompson est un croisé de sa cause, dans le pire sens du terme. Ce qui signifie qu’il est prêt à tout, absolument tout, pour la faire triompher. Y compris à mentir, à tenir des discours tous plus hallucinants les uns que les autres, à bafouer l’éthique de sa profession, à essayer d’écraser ceux qui ont le malheur de s’opposer à lui ou à ses méthodes, et j’en passe. Il n’a de respect, ni pour la vérité, ni pour ses adversaires. Puisque sa cause est juste, il se croit tout permis. Et puisque sa cause est juste, il n’a aucun remords.

Voilà pourquoi je le considère comme « nuisible » : à mes yeux, sa contribution au débat sur la violence des jeux vidéo, qui dure depuis maintenant 10 ans, est probablement la pire que l’on pouvait imaginer. Plus que tout autre, il aura contribué à hystériser ce débat, de la même manière que Jean-Marie Le Pen, toutes proportions gardées, a hystérisé les débats sur la sécurité et l’immigration. Attention, je ne compare absolument pas Thompson à Le Pen, ni d’un point de vue politique, ni même sur leur personnalité ! Je suis juste en train de dire que leurs contributions respectives à divers débats ont produit les mêmes effets de polarisation et d’hystérisation. En particulier, aux yeux de nombreux joueurs, il suffit que vous émettiez la plus petite critique contre les jeux « violents » pour que vous soyez « thompsonisé » (ou « famille-de-francisé »), de même que d’autres ont été « lepénisés » sur le plan politique ou intellectuel. C’est d’autant plus désolant qu’une remise en question est indispensable sur la violence de certains jeux, comme sur leur marketing et sur leur accessibilité aux mineurs. Je le répète : si on est muets sur ces questions-là, d’autres se chargeront de répondre à notre place, et la réponse ne nous fera pas forcément plaisir.

Et quand je dis « on », j’inclus également les autres acteurs du jeu vidéo, notamment les éditeurs et les développeurs. Dans un autre article, j’ai expliqué comment Jack Thompson et d’autres détracteurs des jeux « violents » réussissaient à se faire entendre après les tueries de Paducah et Columbine pendant que leurs créateurs réstaient muets, soit par choix, soit par obligation. Dans le cas de Thompson, il s’agissait plutôt d’un choix délibéré, et il s’est avéré désastreux. Ainsi que le raconte Hal Halpin, ancien président de l’IEMA (International Entertainment Merchant Association, la principale organisation représentant les revendeurs de jeux vidéo) dans son éditorial de décembre dernier au magazine Electronic Gaming Monthly :

« Pendant les neuf ans où j’ai dirigé [l’IEMA], j’ai souscrit à la même ligne de conduite que mes confrères des autres organisations de l’industrie : ignorez Jack Thompson et il finira par s’en aller. C’est la plus grosse erreur que l’industrie ait jamais faite. Nous avons laissé Thompson être la seule personne à s’exprimer quand les médias avaient besoin d’interviewer quelqu’un. (…) Il se trouve que la stratégie du type « ignorez-le et il s’en ira » s’est retournée contre nous. [Jack Thompson] est intelligent, il s’exprime clairement, il est passionné, et télégénique ».

Et d’ajouter à l’adresse des joueurs : « Vous pouvez ne pas souscrire à sa philosophie, ni apprécier son interprétation « libérale » des faits, mais vous devriez le respecter. Et bien que vous sachiez que sa version des faits n’est pas la même que la vôtre, vos parents, grands-parents, professeurs… ne le savent pas. (…) Ne vous jetez pas sur un forum juste pour descendre en flammes le personnage; ce faisant vous dévalorisez vos arguments et donnez des munitions supplémentaires à vos détracteurs ». Pour ma part, j’ai peur que cet appel au respect ne soit pas entendu, et qu’on n’en ait pas fini avec la chasse aveugle à la « thompsonisation des esprits », ni avec le silence complice des éditeurs. Mais bon, on en a au moins fini avec les procès qui tournent au cirque. C’est déjà ça.

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est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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9 commentaires »

  1. J’ai mis ce post à jour en rajoutant un certain nombre de références, afin de ne pas me contenter d’accusations dans le vide.

    D’autre part, Douglas Lowenstein, ancien président de l’Entertainment Software Association, a écrit à Kotaku en accusant la presse vidéoludique d’avoir pratiquement « créé » Jack Thompson en couvrant les moindres de ses faits et gestes. GamePolitics a déjà répondu à l’accusation (et j’ai repris la plupart des références pour les inclure dans mon post), mais je compte examiner ce point un peu plus en détail dans la troisième partie de ma série : « Quand le berger est mou, le loup chie de la laine ».

    Pour l’instant, je me bornerai à dire que ce dicton caractérise parfaitement Lowenstein, qui s’est fait comparer successivement à Hitler, Goebbels et Saddam Hussein par Thompson, sans jamais répliquer.

  2. Bon au final c’est quand même une bonne nouvelle.

  3. Ouais, tu as raison, c’est quand même une bonne nouvelle parce qu’il a perdu un peu de sa crédibilité et de sa capacité de nuisance. Il ne pourra plus ramener sa fraise en tant qu’avocat. Malheureusement, le mal qu’il a fait est toujours présent, et il est difficilement réparable.

  4. Dernière personne à s’exprimer sur la radiation de Jack Thompson : Hal Halpin, ancien président de l’IEMA (cf. article) et surtout actuel président de l’ECA (Entertainment Consumers Association, une association de joueurs nord-américains qui possède notamment le site GamePolitics).

    En gros, dans son éditorial au magazine The Escapist, il explique mieux que moi pourquoi nous ne sommes pas débarrassés de Jack Thompson, et il maintient que la ligne de conduite qui consistait à ignorer ce type pendant des années a été la plus grosse erreur des acteurs du jeu vidéo, quoi qu’en dise Douglas Lowenstein.

  5. Alors une question m’obsède, un avocat rayé d’un barreau d’un Etat fédéré (Floride), a-t-il le droit de repasser son barreau dans un autre Etat (Caroline du Sud, par exemple)?

  6. Je ne sais pas. Mais je me souviens que lors de l’affaire Devin Moore (du nom d’un ado qui a tué un policier dans l’Etat de l’Alabama, soi-disant sous l’influence de GTA Vice City), Thompson avait fait un tel cirque qu’il a non seulement été dessaisi de l’affaire, mais en plus il a perdu sa licence l’autorisant à pratiquer en Alabama. Cela ne l’a pas empêché de continuer à pratiquer dans d’autres états.

    Là, par contre, le jugement indique qu’il est radié et qu’il n’a pas le droit de repasser l’examen. Et s’il y avait possibilité pour lui de repasser l’examen dans un autre état que la Floride, je pense que les sites spécialisés l’auraient mentionné. Mais qui sait, peut-être va-t-il s’expatrier au Canada pour continuer à emm… le monde.

    Enfin bon, j’ai demandé sur le forum de l’ECA, je vais voir ce qu’ils me répondront.

    Edit : on m’a répondu que Thompson pouvait repasser l’examen dans un autre état, même si sa précédente radiation va quand même fortement l’handicaper. Maintenant, est-ce que ça va l’arrêter ? D’un côté, il a déjà déclaré qu’il ne ferait pas appel de sa radiation. De l’autre, il est tout à fait capable d’essayer toutes les issues possibles. A suivre…

  7. Aux dernières nouvelles, Jacquot a trouvé un nouveau job : éditorialiste sur un site conservateur. Quand on voit les copains qu’il a (Ann Coulter, Newt Gingrich, Pat Buchanan, Phyllis Schlafly…), ça fait tout de suite envie.

    On notera que dans sa présentation, Thompson est muet sur son activisme anti-jeux. Par contre, il se dit « écrivain », et pour avoir lu son autobiographie, je me marre.

  8. Ahah ouais il est bien entouré, le veinard !

  9. <>
    Noooooooooooooooooooooooooooooooooooooon,Pas ca.Je veux pas le voir brimer mes droits ici.

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