On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

Tisane tiédasse

Par • le 26/11/2010 • Entre nous, Vite dit

Je viens d’apprendre sur le blog de Yann Leroux que le Centre d’Analyse Stratégique, qui officie pour le gouvernement, a publié un rapport sur le jeu vidéo. Ou plutôt, sur les deux aspects qu’on retient le plus souvent à leur sujet (à savoir la violence et « l’addiction »), ainsi que sur la possibilité que l’État s’en mêle. Dans leur langage, cela donne une « note d’étude » s’interrogeant sur la « régulation des contenus et des pratiques ». On peut la lire à cette adresse.

Yann Leroux m’ayant piqué ma place de « faiseur de tartines » sur les controverses autour du jeu vidéo (quoique lui s’occupe davantage « d’addiction » et moi de violence), je n’ai plus grand-chose à ajouter sur cette « note d’étude », si ce n’est deux mots : ceux du titre. En effet, pour moi, ces 12 pages sont conformes au cliché du rapport gouvernemental tiédasse comme il en existe au kilomètre et dont la destination est la même, c’est-à-dire le placard.

Il est vrai qu’on est très loin de l’époque des communiqués de presse incendiaires de Familles de France contre les « jeux violents » il y a plus de 10 ans. Cela dit, quand on regarde leurs initiatives et publications plus récentes, on se rend compte que même eux sont passés du vitriol à la tisane, au moins sur ce sujet (1). Mais faut-il y voir un progrès ? Quand on lit cette « note d’étude », on constate effectivement que ses auteurs font un minimum d’efforts pour prendre en compte les points de vue « des deux bords ». Mais ça s’arrête là : ils débarquent en touristes, et ils nous offrent un catalogue de points de vue, sans aucun recul ni aucune analyse sur leur pertinence, puis ils se bornent à faire des « propositions » timorées dans un langage qui l’est tout autant. Par ailleurs, la tiédeur n’interdit pas le racolage, selon une tactique vieille comme la rubrique « faits divers » : pas question de prendre parti, mais on va quand même titrer sur « les dangers potentiels » (2).

Problem Officer ?

Faut-il en déduire qu’il n’y a aucun problème ? Certainement pas. Je me suis baladé dans assez de magasins aux quatre coins de la France pour constater qu’il n’y a pas grand-chose (et pas grand-monde) qui empêche un gosse d’accéder aux jeux qui sont supposés lui être « déconseillés ». Que ce soit l’absence de vérification aux caisses ou la possibilité, pour tout le monde quel que soit l’âge, d’essayer les jeux sur une borne de démonstration, le tableau n’est pas reluisant. Et de ce côté-là, les grandes enseignes comme la FNAC ne valent pas mieux que les magasins spécialisés (3). Si on ajoute à cela la tendance à la surenchère dans la violence gratuite, minoritaire mais suffisamment présente pour qu’on la remarque (cf. God of War 3, par exemple), j’appréhende le jour où une association quelconque aura l’idée de mener une enquête, même restreinte, sur l’accessibilité des jeux « violents » aux mineurs.

Cependant, une fois le problème avéré, la question est de savoir si on peut compter sur les auteurs de cette « note d’étude » pour le résoudre. Et je ne pense pas avoir besoin de vous donner ma réponse. Je ne suis pas devin, mais contrairement au camarade Yann Leroux je ne m’inquiète pas trop pour la suite qui sera donnée à ces propositions. N’allez pas croire pour autant que le spectacle de « décideurs » mollassons et inutiles me réjouisse.


  1. En ce qui concerne Familles de France, il ne faut pas oublier que l’essoufflement, puis l’échec de leur campagne contre les jeux « violents » est dû en grande partie au changement d’équipe dirigeante, qui a donné lieu à la marginalisation puis au départ des instigateurs de cette campagne (plus de détails sur cette page). L’actuelle Fédération des Familles de France a donc peu à voir avec celle qu’on a connue et subie il y a plus de 10 ans. Mais le fait est qu’elle a changé de ton depuis cette époque… et (quelle coïncidence !) qu’elle n’intéresse plus grand-monde.
  2. Un exemple parmi d’autres, mais qui concerne les jeux de rôle : en début d’année, une professeure ratée a fait irruption dans une université de l’Alabama pour y fusiller tout le monde, histoire qu’il n’y en ait pas que pour les morveux de Columbine. Comme elle avait dépassé la cinquantaine, il était difficile de mettre ça sur le dos des jeux vidéo (ce n’est pas que les plus de 50 ans ne jouent pas, mais ils ne correspondent pas à un profil de « gamer-tueur » assimilable par le lecteur moyen d’un journal généraliste). Heureusement, une gratte-papier du Boston Herald a eu l’idée géniale d’exhumer Donjons & Dragons, histoire de trouver un bouc émissaire qui concorde avec l’âge de la tueuse. Le plus remarquable là-dedans n’est pas l’extraordinaire bêtise du procédé, mais la manière dont l’auteure a tourné son article, en particulier le dernier paragraphe. En effet, elle n’a jamais accusé frontalement Donjons & Dragons d’avoir causé la fusillade. Elle « s’est juste contentée » de dire que la tueuse y jouait, avant de rappeler que le jeu a connu une période de controverse et d’évoquer brièvement ce qu’en disaient les uns et les autres. Mais elle a quand même fait un article là-dessus, sans essayer de faire le tri entre les différents points de vue. Mission accomplie : elle a racolé le lecteur tout en conservant l’apparence d’une enquêtrice objective.
  3. Un vendeur d’un Micromania parisien m’avait dit il y a quelques années que dans son magasin, les consignes sont claires : pas question de laisser un enfant acheter un jeu « pour les 18 ans et plus ». Mais je ne sais pas si cette politique est généralisée à tous les Micromania de France. De toute façon, pour ce que j’en ai vu, c’est plus l’exception que la règle. Jusqu’à quand ?

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est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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3 commentaires »

  1. Concernant le point 3. j’ai vu de mes yeux au Micromania de Bagnolet une femme ayant environ la trentaine acheter en toute connaissance de cause Grand Theft Auto: San Andreas pour sa fille qui l’accompagnait: la gamine ne dépassait pas les 12 ans. J’ai regardé le vendeur d’un air inquisiteur, il a vaguement haussé les épaules et lui a vendu son jeu.

    Sinon je trouvais que l’article manquait d’illustrations, j’en ai trouvé une qui collait pas mal.

  2. Effectivement, une illustration n’est pas de trop, merci de l’avoir rajoutée.

    12 ans ? Tu as de la chance. Pour ma part, j’ai rencontré dans le train un marmot qui n’avait même pas 10 ans. Il jouait un peu au poker sur sa DS, puis il m’a demandé : « hé m’sieur ! T’as joué à Ranteftoto ? Moi, j’vais y jouer sur ma DS, j’vais tuer des gens ! »

    J’ai essayé de retrouver « l’éducateur » qui était censé veiller sur lui, histoire de voir ce qu’il en pensait, mais sans succès. J’ai essayé de faire un petit prêchi-prêcha comme quoi si jamais des chiards comme lui continuaient à jouer à « Ranteftoto », les gens pourraient se dire que la classification ne servirait à rien et réclameraient leur interdiction pure et simple, à tout le monde. Sans plus de succès.

  3. Je suis d’accord avec toi : si personne ne se sent responsable, il y a aura censure et interdiction de vente, point.

    C’est dommage mais l’un des remèdes consisterait à faire en sorte que la grande majorité des gens connaisse suffisamment le jeu vidéo pour savoir facilement si tel ou tel jeu est fait pour l’enfant.

    C’est pas prêt d’arriver vu que peu de gens font attention à la classification PEGI. Mais bon, ça ne m’étonne pas vu qu’une étude vient de montrer que pas beaucoup plus font attention aux pictogrammes des médicaments et ont des accidents de voiture après avoir pris un médicament qui rend somnolent, par ex.

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