On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

Le grand jeu des commentaires à la con

Par • le 17/8/2012 • Entre nous, Vite dit

Les vacances n’étant pas encore finies, je vous propose un petit jeu sympa, qui a l’avantage de ne pas avoir de fin. C’est une adaptation du « blog post comment bingo » qu’on peut trouver sur le site Corporate Babysitter. Le principe est le même : les « commentaires à la con ». Ceux qu’on est sûr de retrouver par dizaines en bas d’un article critique, ou dans un autre article écrit en réponse au précédent. Ceux qui charrient toujours les mêmes lieux communs, les mêmes poncifs, jusqu’à l’overdose. Ceux qui ont fini par devenir chez leurs auteurs un réflexe, un automatisme. Les réactions consternantes à l’article d’Adrien Guilloteau, sur la surenchère de violence gratuite dans certaines bandes-annonces de jeux à venir, en sont un parfait exemple.

Avant de rentrer dans les détails, je me permets une petite précision : quand je parle de « commentaire à la con », je ne sous-entends pas que tout est faux dedans. Il arrive que les lieux communs renferment une part de vérité. Et certains arguments employés pourraient éventuellement être pertinents dans un autre contexte. Le gros problème, c’est la manière, systématique et automatique, dont ils sont employés. C’est ce qu’on appelle la « pensée bouton » (ou, vestige des temps anciens, la « pensée gramophone ») : plutôt que de lire sérieusement l’article, et de prendre la peine de réfléchir à des arguments originaux, on appuie sur le bouton, et hop ! la machine à poncifs se met en marche.

Et tant pis si c’est parfois complètement à côté de la plaque, comme avec l’article de Guilloteau. Parce que raconter sa vie sur tous les jeux violents auxquels on a joué depuis sa prime jeunesse sans qu’on se soit transformé en tueur psychopathe, et patati et patata, ça commence à bien faire ! A la rigueur, ça aurait pu avoir une utilité du temps où, effectivement, les médias généralistes ne montraient des jeux vidéo que leur portion la plus violente, et où les seuls joueurs auxquels ils s’intéressaient étaient ceux qui s’introduisaient dans leur (ex-)lycée pour dézinguer à tout va. Mais ça fait longtemps qu’on n’en est plus là, et j’ai de sérieux doutes quand à l’utilité (ou à la pertinence) de nous faire le coup du « joueur de FPS qui n’a tué personne » à chaque fois qu’on ose émettre des réserves sur tel ou tel jeu. Et puis, faire la leçon à quelqu’un qui n’y connaît effectivement rien, c’est une chose, mais ressortir ce genre de poncifs à quelqu’un comme Guilloteau qui a un peu grandi avec les jeux vidéo, ça la fout mal.

Bref, fin de la parenthèse, et place au jeu :

Et comme disait Morsay : « Cliquez, cliquez, bande de s… »

Le principe est le suivant : à chaque fois qu’un article ou un post de blog paraît sur la violence des jeux vidéo, vous prenez la grille ci-dessus (bien entendu, n’oubliez pas de cliquer sur l’image pour l’avoir en entier), vous prenez toutes les cases de la grille et des sous-grilles associées, et vous essayez de prédire leur apparition dans les réponses à l’article. Le gagnant est celui qui, au bout d’un certain temps (un mois, par exemple), aura prédit avec succès le plus de commentaires à la con. J’ai mis à votre disposition plusieurs moyens d’évaluer ces prédictions.

Niveau de difficulté : Madame Irma. Il suffit de cocher les cases dont vous êtes sûr qu’elles apparaîtront. Chaque commentaire à la con que vous avez coché qui a effectivement été utilisé au moins une fois vaudra +1. Le gagnant est celui qui aura le score le plus élevé.

Niveau de difficulté : Madame Soleil. Afin corser le jeu, les cases cochées à tort (un commentaire à la con qui n’a pas été utilisé) vaudront -1, et les cases non cochées alors qu’elles auraient dû l’être vaudront -0.5. A vous de voir si le score minimum est de zéro, ou si vous autorisez les scores négatifs (pour l’anecdote, j’ai déjà donné en examen des QCM avec ce barème. C’était… particulier).

Niveau de difficulté : Elizabeth Teissier. Cette fois, il ne faut plus se contenter de cocher les cases, mais de leur attribuer un numéro qui représente le nombre de fois où chaque commentaire à la con sera utilisé (pour un seul et même article, toujours). Cette fois, le score est calculé en fonction du nombre d’apparitions de ces commentaires. Exemple : si 15 personnes se plaignent que le jeu vidéo est « diabolisé » (sous toutes ses formes : « on diabolise », « c’est de la diabolisation », « arrêtez de diaboliser », etc…), que 10 personnes affirment que c’est aux parents de surveiller ce que font les enfants, et qu’aucun autre commentaire à la con n’est utilisé (peu probable : la plupart du temps ils sont livrés en formule tout compris) le score maximal à atteindre est de 25. Le gagnant est donc celui qui s’en rapprochera le plus.

Niveau de difficulté : Nostradamus. Le numéro n’est plus le nombre d’occurrences du commentaire à la con, mais le pourcentage d’apparitions. L’avantage est qu’on n’a plus à spéculer sur le nombre de commentaires que va générer l’article, mais qu’on va pouvoir calculer le poids de chaque « argument à la con ». Reprenons l’exemple précédent : 15 occurrences du mot « diaboliser » + 10 occurrences du reproche aux parents pour un total de 20 messages (on l’a compris, certains peuvent avoir recours aux deux « arguments » à la fois). Il faut avoir donné à la case « diabolisé » un poids de 75% (15 * 100 / 20), et à la case « C’est aux parents de s’occuper de leurs enfants » un poids de 50%. Pour calculer le score de chaque joueur, par contre, j’ai recours aux scores négatifs. En gros, si le joueur a donné à la case « diabolisé » un poids de 50%, à la case « C’est aux parents… » le poids correct de 50%, et à la case « stigmatisé » un poids de 30%, son score sera de -25 (c’est-à-dire 25% en moins de ce qui est prévu) + 0 (poids correct) – 30 (c’est-à-dire 30% en trop par rapport à ce qui est prévu) = -55. Le gagnant est donc celui qui est le plus proche de zéro.

Je prédis, pour ma part, que cette grille va me servir encore longtemps. Bien plus longtemps que je ne le souhaiterais. En tout cas, bon jeu et bonne fin de vacances !

Tags: , ,

est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
Email | Tous les posts de

10 commentaires »

  1. C’est vraiment un sacré tacle que tu envoie sur ce coup shane Oo Je suis pris entre le rire (Parce que c’est véridique en de nombreux points) et la surprise, c’est rare de te voir aussi incisif.

  2. En fait, j’ai fini par perdre patience.

    Les mantras que j’ai reproduits ici (et j’en ai oublié plein, comme : « la criminalité baisse », ou « c’est ce que veut le public »), je les entends en boucle depuis des années et des années, ce qui était déjà bien pénible. Mais jusqu’à présent, ils étaient plutôt dirigés contre « ceux d’en face ». Ils étaient une preuve parmi d’autres qu’une bonne partie de la « communauté » ne sait pas se défendre contre l’adversité, mais parfois, ils pouvaient être utiles.

    Par exemple, quand quelqu’un se plaignait de trouver des jeux « violents » accessibles aux enfants dans la plupart des magasins, il n’était pas idiot de lui rappeler qui achetait ces jeux les yeux fermés pour leur progéniture, sans se soucier de leur contenu. Ou quand quelqu’un affirmait qu’un tueur de masse lambda avait joué aux jeux vidéo, il n’était pas inutile de compléter « … comme des millions d’autres personnes qui n’ont jamais fait de mal à une mouche ». Ça ne volait pas très haut, mais c’était plus subtil qu’un simple « ferme ta gueule », pour un effet à peu près similaire.

    A mon avis, les choses ont vraiment commencé à se dégrader quand on a employé ces mêmes mantras pour n’importe quelle personne qui osait formuler la moindre critique contre la violence vidéoludique, ou son évolution. Ce n’était déjà pas malin contre « ceux d’en face », parce qu’ils disaient parfois des choses censées. Mais quand c’est « un des nôtres » (joueur, journaliste spé ou développeur) qui exprime des réserves et qu’on lui fait la leçon comme s’il n’y connaissait rien, ça devient n’importe quoi.

    Quand je lis certains commentaires en bas de l’article d’Adrien Guilloteau, je suis sidéré. Pas tellement par le mélange de moutonnerie, d’attaques gratuites et de mauvaise foi (« on n’a pas maltraité DePalma avec Scarface », pitié, mais pitié !). Mais par le fait qu’on l’utilise contre quelqu’un dont c’est la passion et le métier depuis au moins autant d’années que ses lecteurs. Je pense qu’en matière de connerie, on a touché le fond.

  3. Dans les commentaires de l’article on peut relever « Clémentine Électrique » qui essaye autant que faire se peut de soulever les mêmes points que toi. Sauf qu’il parle à des murs.

  4. Au moins, ça m’a permis de rire. Parce qu’à la lecture des commentaires sous l’article, c’était plutôt les larmes qui se pointaient.

    Je remarque que ton interview de Bègue provoque les mêmes réactions épidermiques.

    Ceci dit il faudrait ajouter quelques cases « sofistiquées » : « l’homme n’est pas un animal », « l’homme possède la réflexivité », ou exceptionnellement « La Loi Morale ». Et Dans la liste des criminels qui n’ont on pourrait ajourter « Eve » mais je ne suis pas sur que les ligues féministes ne débarquent pas en te traitant de fasciste et que les techno-théologiens répondent « les jeux vidéo existaient dans le jardin d’eden triple andouille ».

    En revanche, je ne comprends pas ta distinction entre « ceux d’en face » et « les notres » ? Il me semble que c’est un reproche que tu formules à Bègues également et de manière général à ceux qui attaquent les jeux vidéos sans les pratiquer. Qu’est-ce que la pratique apporte de plus pour ce genre de chose ? A partir du moment ou l’on essaie pas d’adopter une posture compréhensive mais explicative, cette nécessité n’existe pas ? Ça invalide pas mal de recherche ce postulat non ?

  5. Salut Steph, et désolé du retard dans la réponse,

    Finalement, j’ai été soulagé de voir que les réactions à mon interview de Laurent Bègue (en tout cas, celles qu’on peut lire en bas des deux versions, celle de GS198x et celle de Merlanfrit) ont été plutôt mesurées par rapport à ce que j’attendais. Sur Merlanfrit, il y en a qui castagnent, mais ils ont des arguments à faire valoir.

    Après, pour en revenir à mes « commentaires à la con », je suis conscient qu’il en manque plein, mais j’avais un problème d’ordre purement esthétique : la grille centrale en bleu devait être carrée : 4 * 4, ou à la rigueur 5 * 5 si j’avais eu 25 clichés différents. Je me suis dit que j’allais me contenter de ce que j’avais.

    Enfin, pour répondre à ta dernière interrogation : je ne suis pas en train de dire (contrairement à Daniel Ichbiah) que seuls ceux qui ont joué aux jeux vidéo ont le droit de s’exprimer dessus. En revanche, j’ai remarqué que jusqu’à récemment (disons, le milieu des années 90), la plupart des critiques adressées contre les jeux vidéo ou les plus « violents » d’entre eux venaient de gens qui non seulement n’y jouaient pas, mais ne prenaient pas la peine de vraiment se renseigner sur le contenu de ce qu’ils critiquaient. Rule of Rose est l’exemple le plus flagrant. Un peu comme si ces gens-là refusaient délibérément d’y connaître quoi que ce soit pour garder leur objectivité.

    C’est dans ces moments-là que je me souviens du Révérend Phil Phillips. C’était un allumé qui dans les années 80, était parti en croisade contre la violence et « l’occultisme » des médias, sachant qu’il considérait comme « occultes » des dessins animés comme les Schtroumpfs, les Bisounours ou Mon Petit Poney. Plutôt hardcore, le mec. Mais dans le même temps, il mettait un point d’honneur à ne critiquer que ce qu’il avait vu. C’est ainsi qu’il s’est farci des dizaines de films d’horreur du début à la fin, y compris le très gratiné Faces of Death. J’avais beau n’adhérer à rien de ce qu’il disait ou presque, j’appréciais beaucoup son honnêteté et son courage. Et je n’avais que plus de mépris pour les gens qui se planquaient derrière des excuses du genre : « il n’y a pas besoin de boire du poison pour prouver que c’est empoisonné ». La métaphore préférée des lâches qui feignent d’oublier que même la notion de poison se discute.

    Bref, tout ça pour dire que la pratique des jeux vidéo que l’on veut critiquer offre un bon moyen de les connaître, même si ce n’est évidemment pas le seul moyen : des vidéos de gameplay sur Youtube + la lecture de quelques tests dans la presse spécialisée offrent une bonne alternative. Ou alors, on regarde l’écran pendant que quelqu’un autre joue (c’est ce que fais Laurent Bègue). Mais si j’ai fait la distinction entre « ceux d’en face » et « les nôtres », c’était pour une autre raison.

    J’en reviens à Rule of Rose et à ce que je disais plus haut. Même si on ne pouvait pas réduire le débat entre deux camps uniformes et diamétralement opposés, une majorité de critiques contre tel ou tel aspect du jeu vidéo venait « de l’extérieur », donc à cette époque, les réactions de défense du loisir venaient effectivement « des nôtres » et étaient dirigées contre « ceux d’en face ». Cette distinction avait encore un sens, et si les réactions étaient parfois épidermiques et connes, il y avait tout un tas de mécanismes auto-justificateurs qui intervenaient parce que c’étaient « ceux d’en face ».

    Ce n’est plus le cas aujourd’hui, pour plusieurs raisons que j’ai développées dans « La sentinelle est fatiguée » et « Une communauté cannibale ». Le jeu vidéo n’est plus « diabolisé », quoi qu’on en dise; les médias généralistes ne sont plus unanimement « contre » (à supposer qu’ils l’aient été…); la distinction entre « ceux d’en face » et « les nôtres » n’est plus aussi nette qu’avant; et il y a des réactions qui sont totalement injustifiables quelle que soit la personne visée. A force de vouloir « défendre » le jeu vidéo à tort et à travers, on devient aveugle au point de s’en prendre aux « défenseurs » eux-mêmes. Voilà mon point de vue.

  6. Ta grille en main, ça devient vraiment drôle de lire ces réactions. Loin de moi l’idée de me la jouer, j’aurais moi-même parfaitement pu céder à quelques facilités dans un éventuel commentaire. Encore que probablement pas ici face un gamer qui s’interroge comme une personne censée…

  7. Oui enfin j’ai lu le dit article et il y a quand même pas mal de chose pour se faire battre. Je suis entièrement d’accord avec ce que tu expliques, par contre quand je lis que ce sont les jeux vidéos qui rendent les gens plus agressif et intériorisé, appuyé par le mot « psychiatre » ; là désolé, mais je ne suis plus. Certes il y a masse de jeux qui aujourd’hui sont trop violents. J’applique moi-même une certaine censure sur les jeux que j’achète à mes petits frères (genre « postal », même pas la peine qu’ils demandent).
    Il ne faut pas confondre cause et conséquence. La cause c’est qu’ils sont renfermés. La conséquence, c’est qu’ils vivent dans un monde illusoire et facile, qu’est le jeu vidéo. Maintenant, il est sûr que la violence facile et régulière ne peut absolument rien arranger pour ceux-là. De là à dire qu’elle pervertit les autres… Il y a un très grand monde qu’il ne faut pas franchir.

  8. @Nesus : je suppose que tu fais référence au papier déféqué par Claire Gallois dans Le Point. Bien sûr qu’elle donne le bâton pour se faire battre. Le tronc d’arbre, même. Mais dans le fond, on s’en fout. Ce n’est qu’un article isolé, dont le seul intérêt est d’offrir un nouveau mètre-étalon de la nullité. Pour le reste, il est indigne d’une quelconque discussion. Il me paraît peu probable qu’un député qui tombe dessus se dise : « ouah ! elle a raison, je n’y avais jamais pensé, il faut interdire, etc ».

    C’est inutile de mordre quand on n’est pas en danger. C’est même contre-productif parce qu’en agissant ainsi, on donne raison à nos détracteurs. Surtout quand on leur ressert la même soupe, déjà réchauffée mille fois. Et leur connerie ne justifie pas la nôtre.

    C’est pour ça qu’il n’est même pas nécessaire de perdre son temps à réagir à… ça. Pour moi, la seule réponse qu’elle mérite, c’est le silence gêné qu’on observe quand quelqu’un s’oublie en public. En même temps, je lui suis reconnaissant, parce que grâce à elle, on reparle de moi.

  9. C’est ca qui reste choquant, Le Point, le Monde, ce sont des journaux dit sérieux et pourtant, a chaque fois qu’ils entament ce sujet casse gueule, ba… Ils se cassent la gueule. Ils ont jamais peur de dire de la merde sur ce niveau.

    Après, je te rejoins entièrement Shane, etc, je suis ta cheerleader, allons renverser kwyxz.

  10. Wow wow wow wow JE VOUS VOIS HEIN

Ajouter un commentaire