On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

Claire Gallois : Permis de tuer… la critique

Par • le 1/12/2012 • Entre nous

Je n’étais pas supposé écrire sur Claire Gallois, ni sur son article du Point consacré aux jeux vidéo, ni sur sa réponse à ses détracteurs (ou plutôt, à une petite poignée d’entre eux). Je n’avais aucune envie d’écrire sur elle. Sauf éventuellement une brève avec un titre archi-sérieux et officiel, mais dont le contenu aurait été uniquement ceci :

… en tout cas, on devrait, mais…

En plus, il me semblait avoir déjà tout dit sur l’inutilité, la prévisibilité, et même la dangerosité des réactions épidermiques de la « communauté ». J’aurais donc pu ignorer complètement cette énième tempête dans un verre d’eau, et me concentrer sur des choses bien plus dignes d’intérêt.

Seulement voilà : il y a un petit quelque chose qui fait que malgré tout mes efforts, je n’arrive pas à m’en foutre autant que je le voudrais. Mais revenons un peu en arrière.

Claire Gallois, donc, vient juste de découvrir les jeux vidéo. Cela lui a fait un tel effet qu’elle s’est oubliée dans les colonnes du Point, hebdomadaire qui lui sert de temps à autre de commodité. Comme souvent dans ces cas-là, quelques gamers, par l’odeur alléchés, lui tinrent à peu près le même langage, et la fosse d’aisance s’engorgea, jusqu’à déborder sur le Net. Depuis, Le Point, s’en est allé faire l’éloge de Far Cry 3 avant de vidanger un peu, tandis que de son côté, l’incontinente incompétente a récemment rouvert son clapet à gaz, histoire de démontrer qu’elle ne comprenait rien à rien.

Avant de tirer la chasse à notre tour, essayons de trouver quelques points positifs à sa première commission. Après tout, comme le dit le proverbe turc, « la fleur est produite par le fumier ». Tout d’abord, grâce à elle, on reparle de moi : en effet, mes articles précédemment cités ont été retweetés par une poignée de personnes bienveillantes, dont le maître de céans. Ensuite, il se dégage de cette commission, comme un parfum de nostalgie, qui permet aux jeunes générations de retrouver toute l’authenticité et la brutale naïveté de la presse d’il y a 20 ans, telle que nous l’avons connue en « direct-laïve » (« bienvenue en 1993 », me disait Kwyxz quand il m’a envoyé l’article par mail). C’est d’ailleurs en raison de ce côté vintage authentique que je considère ce gros paquet comme l’un des trois articles les plus nuls que j’aie jamais lus en langue française sur (et contre) les jeux vidéo, aux côtés d’« Il faut détester les jeux vidéo » de Jean-Claude Jaillette (Marianne, 28 décembre 1998) et de « Vidéo Drogue » de Claude Sarraute (Le Monde, 27 février 1993). Bon, d’accord, ce n’est pas tout à fait un point positif, mais c’est quand même une distinction, non ? En comparaison, son deuxième article n’a rien de remarquable : une justification médiocre dans la moyenne de ce qu’on a l’habitude de lire. Allez, il y a quand même une chose à sauver : à aucun moment, notre incontinente incompétente n’a eu l’incongruité de mettre un « s » à « jeux vidéo ». Ce qui, de nos jours, est assez rare chez les « gens de l’extérieur » pour être souligné.

Voilà, on peut évacuer, maintenant. Reste à savoir qui a été atteint par les éclaboussures when the shit hit the fan, comme le disent les anglo-saxons.

Les joueurs ? Je pense avoir tout dit sur le sujet, même si je reste fasciné par le besoin obsessionnel de certains coreligionnaires de justifier leur pratique en permanence. Sans parler de la bêtise qui consiste à polluer le compte Twitter de notre incontinente incompétente, ou sa page Wikipédia, tout ça parce qu’elle a parlé de « dépendance grandissante à la violence » (sans parler non plus de la maladresse qui consiste à lui reprocher son ignorance, tout en nous aventurant nous-mêmes sur des domaines qui ne sont pas forcément les nôtres, comme la psychologie). Bêtise, qui, heureusement, commence à se voir jusque dans nos rangs. Selon Kwyxz, « ayant reçu des dizaines d’emails à la con garnis d’insultes, Claire Gallois pense évidemment avoir eu raison. Bravo les veaux. » Même constat sur le compte Twitter de Canard PC :

« Magie du papier de [Claire Gallois], les gens qui l’agressent valident automatiquement sa thèse. Bravo les cons ! Et beau buzz, Claire… […] D’ailleurs, c’est tellement drôle de voir ceux qui se revendiquent porte-étendard d’un « jeu vidéo adulte » se comporter comme des marmots vexés. « 

Le jeu vidéo lui-même ? Même Anders Breivik, avec son double massacre, n’a pas suffi à provoquer un quelconque changement politique ou judiciaire, alors que c’était le criminel le plus « compromettant » auquel nous ayons eu affaire. Alors croit-on vraiment qu’un papier péniblement excrété par notre incontinente incompétente ait plus de chance d’inciter ceux qui n’aiment pas les jeux vidéo (« violents » ou pas) à se regrouper et se mobiliser pour interdire les jeux qui leur posent problème ? (ô surprise, même Gameblog semble être d’accord là-dessus) Et puis de toute façon, avez-vous lu un quelconque article, une quelconque déclaration publique, en sa faveur ? Dans le peu qui a été écrit sur le sujet, elle a fait l’unanimité contre elle. Là encore, je pense avoir tout dit, et si ça ne suffit pas, je vais m’empresser de citer à nouveau Canard PC :

A une époque où tout le monde joue, ou le JV est une cash machine, il serait peut être temps d’abandonner la position de citadelle assiégée. Le jeu vidéo a déjà gagné. Pour le meilleur et, surtout, le pire, on est la majorité. Et si il y a un ennemi, il est de l’intérieur.

Le Point ? Comme indiqué plus haut, l’opération de damage control a déjà commencé. De toute manière, ils ont une section « jeux vidéo », ainsi qu’une journaliste spé maison, Mathilde Lizé, qui la pauvre, était bien embêtée de devoir nettoyer derrière ce qui n’était qu’une invitée. Mais la vidange a été rapide, et après tout, la presse généraliste ne s’est pas vraiment emparée de la non-affaire, à quelques exceptions près (dont L’Express, 20 Minutes, et « Le Plus » du Nouvel Observateur). La rubrique « jeux vidéo » pourra donc continuer à être alimentée comme si de rien n’était.

L’incontinente incompétente elle-même ? Elle avait déjà une vie bien remplie avant de se soulager de la sorte. Et il faut s’attendre à ce qu’elle continue d’utiliser Le Point comme lieu d’aisance sur d’autres sujets, d’ailleurs ça n’a pas traîné puisqu’elle a daigné répondre à ses détracteurs. Bien sûr, elle n’a rien compris à toute cette shitstorm, mais on ne peut pas dire que ça l’ait atteinte. D’ailleurs, pourquoi, par quoi, aurait-elle été atteinte ? Les tweets se sont multipliés, mais personne n’est obligé de les lire. La presse vidéoludique, pas davantage, d’autant qu’elle n’est vraiment lue que par ceux qui s’intéressent au médium. Il reste la presse généraliste déjà évoquée, mais le plus souvent, il s’agit de blogs de lecteurs, plus que d’articles « officiels ». Pas de quoi craindre pour sa réputation, donc. Par ailleurs, on se souvient que la sortie de Franz-Olivier Giesbert, Directeur du Point, sur les « petits » candidats à la Présidentielle avait entraîné une tempête de prostestations (principalement sur Twitter)… dont il n’avait ouvertement rien à foutre. Elle aurait pu faire comme lui : ignorer ses détracteurs, se délecter de leur susceptibilité, voire se nourrir de la pub gratuire qu’ils lui ont fait. Au lieu de ça, elle a répondu en restant droit dans ses bottes, mais sans chier dedans. Pourquoi pas.

Le Rhinocéros de Sumatra. Une espèce en grand danger d’extinction.

Nous avons donc un exemple parfait de non-polémique qui, devrait s’évaporer d’elle-même au bout de deux semaines, et qui aurait même pu se dégonfler au bout de quelques jours si l’incontinente incompétente n’avait pas refait un petit tour dans les coulisses. En effet, quand elle a posté sa réponse, le buzz était déjà presque terminé. Mais qu’importe, puisque dans les faits, elle n’existe pas pour nous, elle n’est personne. Pour ma part, je l’ai lue comme si j’étais allé au zoo : avec ce mélange de curiosité, d’amusement et de profonde pitié que j’éprouverais devant les derniers représentants d’une espèce menacée, comme le Rhinocéros de Sumatra ou le Lynx d’Espagne. « Ah tiens, ça existe encore ? Qu’ils sont exotiques ! Mais combien de temps leur reste-t-il avant de disparaître ? » Voilà tout ce qu’elle peut m’inspirer. Elle ne va finalement nuire, ni au jeu vidéo, ni aux joueurs, ni à l’hebdo où elle s’est soulagée, ni à elle-même.

En réalité, c’est à la critique vidéoludique qu’elle va nuire. Gravement et durablement. C’est à tous ceux qui ont une objection à formuler contre tel ou tel aspect du jeu vidéo qu’elle va faire le plus de mal. Et c’est pour cette raison que je n’arrive pas à m’en foutre.

Les lecteurs attentifs, ceux qui ont assez de temps à perdre pour lire également les commentaires d’articles, ont sans doute remarqué, parmi le flot de défenseurs du jeu vidéo avides de se justifier (et de justifier l’existence de ma grille de bingo), une poignée de voix discordantes. Celles-ci ne défendaient pas nécessairement l’incontinente incompétente, mais mettaient plutôt l’accent sur les risques provoqués par la violence vidéoludique ou par la consommation abusive d’écrans, surtout en bas âge. Ce n’était pas complètement insensé, ni excessif, mais qu’importe, puisque c’était à côté de la plaque. Ces objections auraient été valables si la discussion avait commencé sur des bases saines, où la nuance aurait été admise. Ce qui était loin, très loin, d’être le cas de l’article initial. Et les tentatives de le rendre plus intelligent qu’il n’était (y compris de la part de l’auteure) n’y changeront rien.

Et pour cause : il ne s’agissait pas d’une « chronique sur les jeux vidéo violents » comme notre incontinente incompétente le prétend, puisqu’à aucun moment de l’article initial, elle ne parlait de « jeux vidéo violents ». Uniquement des « jeux vidéo » tout court, réduits dans leur ensemble à la seule violence et au passage à l’acte meurtrier. Et des joueurs « qui sont passés à l’acte », auxquels elle amalgame les autres « adeptes ». « Breivik, Merah et beaucoup d’autres en étaient accros. Un passe-temps qui peut se révéler mortel… » : tout est dit. Reconnaissons-lui quand même un sacré culot d’affirmer dans sa réponse : « je n’ai jamais dit ou pensé que les joueurs accros étaient des tueurs en puissance ». Quand on s’oublie, on assume.

Il est donc inutile de faire passer ce premier article pour ce qu’il n’était pas. Il est tout aussi inutile, et dangereux, de vouloir le sauver envers et contre tout, sous prétexte qu’on reparle de la violence des jeux vidéo, et donc qu’en se raccrochant à cet article, il y a un infime espoir de faire passer quelques idées raisonnables. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs les critiques « extérieurs » du jeu vidéo, c’est à vous que je m’adresse. Vous qui n’êtes pas du domaine, ou qui avez pratiqué dans le temps, ou qui pratiquez un peu aujourd’hui sans que cela fasse de vous des passioné(e)s, sans que vous ayez le sentiment d’appartenir à « la communauté » (comme je vous envie, parfois…). Vous qui, dans tous les cas, avez été amené(e)s à vous intéresser aux jeux vidéo parce que vous traitez des patients dont le mal-être est dû en partie à une consommation médiatique pas très saine. Ou parce que vous étudiez les mécanismes de l’agression et que la violence vidéoludique est un facteur difficile à contourner. Ou encore parce que votre conception de l’art et de la culture s’accorde mal avec la laideur d’une certaine production médiatique (dans laquelle il faut malheureusement mettre une partie non négligeable de la production vidéoludique). Ou tout simplement parce que certains de leurs aspects vous rebutent suffisamment pour avoir envie d’en parler. Vous qui êtes parfois devenus mes correspondants, voire mes amis. Je n’ai qu’une chose à vous dire : n’essayez pas de défendre Claire Gallois, encore moins son article. Vous avez beaucoup plus à perdre que votre temps. Laissez-la tomber, avant qu’elle ne vous éclabousse (qu’elle ne nous éclabousse tous) et qu’elle n’emporte votre cause dans sa chute.

L’avenir de la critique vidéoludique. Merci qui ?

Vous êtes la seule raison pour laquelle je me mêle de cette non-affaire, alors que j’estimais avoir déjà tout dit, et que je voulais éviter de tourner en rond. Je me fous d’elle, de ses excrétions, de mes coreligionnaires les plus sectaires et de leurs contre-excrétions. Ils se valent les uns les autres, ce sont les deux faces d’une même pièce : même absence de nuance, même pensée figée, même logique binaire, pour ou contre, tout ou rien, loisir sans danger ou mortel. Pas étonnant que dans sa réponse, Claire Gallois n’ait voulu voir que ce qui l’arrangeait, à savoir la fraction la plus ordurière des critiques qui lui ont été adressées. Rien de tel qu’un voleur pour reconnaître les siens, a fortiori un voleur (ou une voleuse) de débat. Oui, vraiment, ils se méritent les uns les autres. Qu’ils restent donc entre eux, à patauger dans la même boue, à se vautrer dans le fumier qu’ils ont répandu ensemble. Mais vous, n’avisez pas de vous y vautrer avec eux, sinon vos critiques, aussi légitimes soient-elles, ne s’en remettront pas.

Il y a dans ce premier article tout ce qui a contribué à pourrir n’importe quel débat sur les aspects problématiques du jeu vidéo : réduction de l’ensemble du loisir à la violence la plus extrême, et à l’inverse généralisation du pire à l’ensemble du loisir, absence totale de nuance ou de documentation, ton méprisant et belliqueux, et j’en passe. A cause d’elle et de ses semblables, nous sommes renvoyés au début des années 90, où on pouvait affirmer sans rire, dans deux journaux d’information nationaux (Le Figaro et Le Monde Diplomatique), que Super Mario 2 avait « inspiré » et « rendu fou » le preneur d’otages de la Maternelle de Neuilly. Et je passerai rapidement sur les nombreux titres qui ont émaillé la presse généralistes d’année en année : « Les jeux vidéo les avaient transformés en tueurs » (Marianne, 22 novembre 1999), « Les jeux vidéo rendent fou » (Marianne, 20 mars 2000), ou « Les jeux vidéo peuvent-ils pousser à TUER ? » (France-Soir, 1er mars 2005). C’est cet héritage empoisonné, accumulé d’année en année, et dont l’article de Claire Gallois est le dernier legs, que vous allez récupérer, même (et surtout) si vous décidez de faire comme s’il n’existait pas.

Croyez-vous vraiment qu’après un article pareil, les premières personnes concernées (les joueurs) auront la moindre envie de se remettre en question ? « Jeux vidéo : permis de tuer », voilà tout ce qu’il faut retenir de leur loisir. « Joueurs qui sont passés à l’acte », ou « accros » dont « même les services secrets ignorent peut-être [le] langage codé » : voilà à quoi ils sont réduits. Allez leur expliquer, ensuite, que les écrans à haute dose peuvent être dangereux, surtout en bas âge, non seulement à cause de ce qu’on fait avec, mais aussi à cause de ce qu’on ne fait plus à côté. Que si le jeu vidéo et son industrie ont été attaqués toutes ces années, c’est parce que parfois, certains d’entre eux l’ont cherché sans se soucier des retombées sur leurs collègues (cf. Rockstar Games, depuis le marketing du premier Grand Theft Auto jusqu’à la débâcle Hot Coffee, en passant par Manhunt). Que la violence gratuite, telle qu’elle a été mise en avant dans certaines bandes-annonces à l’E3 2012, n’est pas forcément la meilleure vitrine dont on puisse rêver pour ce loisir. Qu’il n’est pas normal que des jeux soi-disant classés pour les 18 ans et plus soient accessibles à n’importe qui, enfants compris, sur les bornes de démonstration des grandes enseignes comme la FNAC ou GAME (pour ce qu’il en reste). Qu’il n’est pas davantage normal, comme le dit le camarade William Audureau, « d’opiner naïvement du chapeau quand le jeu le plus vendu de l’année, un FPS militaire, a comme visage public et consultant un des bellicistes les plus ultra des administrations Reagon et Bush, Oliver North », ou quand l’éditeur d’un autre FPS militaire se met à vendre de vraies armes pour qu’on parle de son jeu. Sans oublier que la violence et « l’addiction » ne sont pas les seuls aspects qui posent problème, loin de là.

Oui, amusez-vous à formuler de véritables critiques quand on prend comme point de départ un article qui n’en fait aucune, absolument aucune, mais qui au lieu de cela, jette en permanence le bébé avec l’eau du bain, sous l’angle le plus racoleur (et le plus faible). A quoi bon espérer une amélioration d’un « passe-temps qui peut se révéler mortel » ? A quoi bon faire réfléchir sur les différents problèmes posés par l’abus d’écrans quand la seule chose qu’on retient, c’est Breivik ou Merah ? A quoi bon essayer de critiquer tel ou tel jeu avec un minimum de rigueur quand on nous parle de « Warcraft, dans lequel les héros sont uniquement des tueurs » ? Ou quand on nous dit que le simple fait de jouer à World Of Warcraft nous met « en pleine violation de l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève. » Et c’est sur cette base qu’on va parler d’éthique ? Vous osez encore espérer vous faire entendre après ça ?

J’avoue, ça ne sert à rien… mais ça soulage quand même, parfois.

Pourquoi est-ce que je me fatigue à vous parler ? Pourquoi est-ce que je devrais me préoccuper du fait que Claire Gallois s’acharne à piétiner un débat à l’agonie depuis longtemps ? Pourquoi est-ce que je me sens concerné quand elle contribue, après tant d’autres (Jack Thompson, Thomas Radecki…), à vous aliéner des centaines, des milliers de gens qui auraient pu être d’accord avec vous à peu de choses près ? Peut-être parce que le problème que vous rencontrez avec les détracteurs hystériques du jeu vidéo, « nous » le rencontrons nous-mêmes avec quelques-uns de nos défenseurs militants : les uns comme les autres sont plus des parasites que des alliés. Ils reprennent ce qui a été dit avant eux, avant de se l’approprier et de le caricaturer à l’extrême. Puis ils nous somment tous de choisir notre camp, « pro » ou « anti ». En se laissant faire, on tombe dans un piège. On n’ose pas les désavouer parce qu’ils sont théoriquement de « notre » bord, et qu’on ne veut pas prendre le risque de passer à l’ennemi. Et puis après tout, quand on parle d’eux, on parle aussi des questions qui nous préoccupent. Mais en même temps, quand ils se mettent à déborder et à raconter n’importe quoi, nous sommes discrédités tout autant qu’eux, et toute tentative de remettre le débat sur les rails est vouée à l’échec. Vous verrez, vous apprendrez bien assez vite à maudire vos « faux alliés », quand vous serez systématiquement comparés à eux et sommés de vous justifier sur ce qu’ils auront fait.

Certes, on ne peut pas dire que jusque-là, vous nous ayez été très utiles pour améliorer un loisir qui nous tient à coeur à « nous », mais pas à vous. On pourrait donc se contenter, nous aussi, de jeter le bébé avec l’eau du bain, et de vous demander à tous de débarrasser le plancher, pour enfin nous laisser entre nous. Le premier problème, c’est que vous ne le ferez pas. Vous ne pouvez pas le faire. Pour certains d’entre vous (psychologues, pédopsychiatres…), votre travail, votre engagement consiste justement à ne pas débarrasser le plancher quand les autres le font. Le deuxième problème, c’est qu’il y aura toujours des « non-joueurs » pour grossir vos rangs. Je ne crois pas à la fracture générationnelle, ni à la disparition des « vieilles générations » comme condition de l’acceptation des jeux vidéo. Il se peut qu’un jour, tout le monde se mette à jouer à une période de sa vie (surtout dans l’enfance), mais cela ne veut pas dire que tout le monde va prolonger l’expérience, ou que cette pratique des jeux vidéo va se transformer en passion. Donc à mon avis, il y aura toujours une critique « extérieure ».

Le dernier problème, c’est que quand bien même vous ne seriez pas là, on se boufferait entre nous. D’ailleurs, c’est déjà le cas. Certes, la critique interne a toujours été présente, et elle s’est faite remarquer cette année sur de nombreux sujets. Mais certains joueurs ont tellement été conditionnés par des années de traitement médiatique calamiteux qu’ils s’en servent comme prétexte pour refuser toute remise en question, y compris quand elle vient de l’intérieur. Il va de soi que notre incontinente incompétente n’a rien arrangé, et que grâce à elle, on va se coltiner davantage de « moi, je joue depuis l’âge de 5 ans, et pourtant ça ne fait pas de moi un criminel ». Mais le problème existait bien avant qu’elle ne débarque (y compris pour d’autres médias comme la bande dessinée ou le jeu de rôle). N’est-ce pas contradictoire d’accuser « ceux d’en face » de nous ramener aux années 90 si nous-mêmes nous y restons accrochés ?

Pour conclure, je vais m’adresser directement à Claire Gallois. « Alors, vous autres, on se pardonne mutuellement nos ignorances ? », nous demandez-vous. Je ne vais même pas revenir sur le peu que vous comprenez de « nos ignorances », mais je vais quand même vous répondre. Oui, pardonnons-nous mutuellement. Mais surtout, oublions-nous mutuellement. Au sens propre.

Post-Scriptum : une version raccourcie et remaniée de cet article a été publiée sur Merlanfrit.

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est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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15 commentaires »

  1. Article très intéressant.
    Au risque de passer pour un misanthrope, je dirais que l’être humain ne me semble pas avoir besoin de jeux vidéo pour faire démonstration de sa bassesse, à travers le monde et les âges. Commencer par se demander pourquoi il est si simple de se procurer une arme d’assaut dans notre société, me paraîtrait un brin plus logique comme point de départ pour endiguer ces actes décérébrés. Pour finir, il me semble évident qu’un enfant littéralement éduqué par un écran de tv/jeux, qui évolue au sein d’une démission parentale pathétique, aura de lourdes carences intellectuelles, et un équilibre social bien bancal. Bon, je plaide coupable, je joue… Depuis si longtemps à présent… Cela explique probablement ce mépris de mon contemporain.

  2. Salut,

    encore une fois, sur le fond, le caractère moribond de ce débat est extraordinaire de longévité.

    Sur la forme en revanche, on peut dire quelque chose d’autre. Il faudrait voir et pouvoir tracer le jeu des références, citations et renvois, mais je persiste à dire – ce que je faisais sur MF – qu’il se passe quelque chose du côté d’une alternative critique (si elle est authentique c’est une autre question).

    Autre chose, ne penses-tu pas que le changement de génération transposera le début du jeux vidéo vs. pas jeux vidéo à jeux vidéo « normaux » vs. jeux vidéo violent ? Un peu comme le cinéma ? Et qu’on en sortira pas aussi facilement. Ceci dit, ce n’est peu être pas pour le pire…

  3. Sans vouloir être désobligeant, c’est un peu grotesque de faire un article aussi long, qui fustige ceux qui insultent Claire Gallois, tout en la qualifiant a votre tour d’ « incontinente incompétente ».

  4. @TOY :
    Merci pour la critique. J’entends bien ce que tu dis, mais je ne pense pas qu’ « incontinente incompétente » soit si insultant que ça. L’incompétence, c’est un constat. Et l’incontinence, c’est en rapport avec la piètre qualité de l’article. J’ai voulu taper dur sans être ordurier (« sale pute », « article de merde », etc), parce que c’est ça qui me pose vraiment problème, en plus du vandalisme de sa page Wikipedia. Tu constateras que l’article ne contient pas beaucoup de gros mots, sauf à un seul endroit (« chier dans ses bottes », qui est une expression que je n’ai pas inventée).

    Tu constateras aussi que ceux qui s’en sont pris à Claire Gallois de manière ordurière ne sont pas le sujet de l’article. Je passe dessus assez rapidement (enfin, « rapidement » selon mes standards). Et pour répondre au tweet du J.A.M., c’est plutôt « 20 000 signes pour expliquer aux critiques extérieurs du jeu vidéo pourquoi ils vont payer les pots cassés ». J’ai écrit l’article en grande partie pour eux, parce que je corresponds avec certains d’entre eux, et qu’ils me lisent.

    Pour le reste, 20 000 signes… bof, c’est ma moyenne, je suis un peu le champion des gros pavés, ça ne doit pas vous changer. Mais du coup, si vous voulez me traiter d’incontinent à mon tour, je ne le prendrai pas mal.

    PS : merci au J.A.M. pour la faute de français à la fin, promptement corrigée.

  5. @Steph :
    Il est clair que la critique « interne » du jeu vidéo a pris de l’ampleur, entre toutes les polémiques sur le sexisme qui impliquaient des joueuses ou des développeuses (cf. #1reasonwhy) et le Doritosgate. Je m’étais déjà penché, un peu, sur le premier point en début d’année, et j’avais prévu de faire une synthèse là-dessus, mais ça traîne.

    Sinon, pour répondre à ta question : effectivement, on peut s’en prendre aux films violents et en même temps un cinéphile exigeant. Il se peut qu’on puisse être opposé aux jeux violents tout en étant un gamer convaincu. Mais de nos jours, on peut également être un anti-télé convaincu.

    @TOY, encore une fois :
    Une version légèrement raccourcie et remaniée de cet article va bientôt paraître sur Merlanfrit. Le remaniement concerne justement le qualificatif d’ « incontinente incompétente », qui va sauter, ainsi que toute le lexique scatologique sur la qualité de l’article de Madame Gallois. La raison : je ne suis plus sur « mon » blog, mais sur un site avec un peu plus d’audience et une certaine tenue éditoriale, donc il faut… « toiletter » un peu. Je ne renie pas pour autant ce que j’ai écrit ici, mais si le fait de le publier ailleurs, en le remaniant, peut permettre de mieux comprendre mon point de vue, alors tant mieux.

  6. Ce serait pas mal un jour qu’on se penche vraiment sur le rapport à la violence sous toutes ses facettes dans ce milieu.

    Parce ce que il y as vraiment un gros malaises autours de ça et les dégâts de la fameuse  » chasse aux sorcières  » sont palpables et existent depuis un moment.

    Résultat personne n’en parlent vraiment : sauf en mode défensif en niant ou minimisant son existence ou bien la bouche en cul de poules en cas d’exaspérations.
    En parler vraiment, le rapport qu’on as avec, évoquer la fameuse  » pulsion morbide  » et la fascination qui nous habitent par moment…
    Le traiter vraiment quoi, histoire de développer le bon outil critique pour faire le tri et faire de vrais constatations/propositions intelligentes sur cette facette du média.

    Histoire d’expliquer pourquoi Mortal Kombat c’est cool et CoD c’est con.

    Il y as un truc que j’aime bien dans la réponse de Claire, même si c’est poussé à l’absurde :

     » vous êtes en pleine violation de l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève qui précise que « les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices » sont prohibés. Quant à Call of Duty, lors de la Mission Cachette, vous devrez fermer les yeux, pour ne pas être accusé de complicité, lorsque votre capitaine torture et abat froidement un blessé… Peut-être n’est-il pas stupide de montrer que, même dans le virtuel, il peut y avoir une éthique.  »

    Quelque part elle responsabilise notre rapport au jeu, à ce qu’on nous montre et aux conneries qu’on peut avaler sous prétextes de « divertissements ».
    C’est une vision qui en un sens considère le jeu vidéo comme un vrai média, avec les effets que cela incombe.
    Et la ligne de défenses des  » joueurs  » est du coup de ramener tout ça au stade de jouets.

    C’est un peu bête.

  7. @Clémentine électrique :
    Tu sais que quand j’ai choisi mes images pour l’article, j’ai pensé à toi ? Plus précisément, à tes tentatives de faire entendre raisons à certains lecteurs hâtifs de l’article de Guilloteau ?

    Le coup de la Convention de Genève, je l’accepte de la part d’Amnesty International : ils avaient écrit un rapport là-dessus il n’y a pas si longtemps, et même si leur analyse était parfois discutable… on pouvait justement discuter, parce qu’ils avaient fait les choses sérieusement. Comme souvent, c’est la manière dont le rapport a été interprété qui m’a posé problème. J’espère qu’un jour, on pourra se passer de tous ces « interprètes » encombrants. Supprimez ces C***** G****** à la c*** et ça ira déjà mieux !

    Quand à Mortal Kombat vs. CoD, je me souviens d’un dossier de Joystick d’il y a 9-10 ans, intitulé « Quand le réalisme tue la créativité ». C’était vraiment une critique excellente, et c’était pour ce genre de dossier de fond que j’aimais Joystick.

  8. Je trouvais à cet article un je ne sais quoi de curieux lors de ma première lecture, le tweet du JAM m’a fait revenir et j’ai mis le doigt dessus.

    Un nouvelle version serait en effet de bon aloi, les écarts de langage détournement l’atention du propos avec lequel je m’accorde et qui reste intéressant.

    Pour rester dans le sujet, depuis le début on tape beaucoup sur une vieille dame mais celui ou ceux qui la laissent publier et valident un tel contenu sont tout aussi fautifs.

  9. @TOY :
    Ayet, c’est publié : http://merlanfrit.net/Claire-Gallois-Permis-de-tuer-la

    Pour ce qui est de l’attitude du Point, je ne sais pas trop quoi en penser. A la base, ce n’est qu’une auteure invitée et habituée des colonnes « débat ». Qu’ils aient publié une opinion aux antipodes de la leur, ça ne me choque pas. Qu’ils aient laissé passer une opinion de cette… « qualité », un peu plus. En tout cas, ils l’ont rapidement désavouée. Bah ! qu’ils fassent ce qu’ils veulent.

  10. @Clementine Là où Claire Gallois a tort sur sa réplique : « vous êtes en pleine violation de l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève » , c’est que le vous s’adresse uniquement aux joueurs, alors que l’éditeur de ces jeux devraient être mis en cause bien plus que les joueurs.

    @shane Je me souviens un jour dans une fnac avoir vécu un scène qui résume bien l’inconscience des distributeurs de jeux vidéo. Une grand-mère qui cherche à offrir un jeu à son petit fils de 12 ans environ. Comme elle n’y connait rien, elle demande à un vendeur. Celui-ci lui recommande un jeu en démonstration sur un écran. Je suis en train de tester le jeu (assassin creed) et je vois débouler le vendeur avec la grand-mère et le petit-fils. Evidemment comme je ne maîtrise pas le jeu, ça semble pas trop violent, je passe plus de temps à chercher comment grimper un mur qu’à assassiner à tour de bras. Et surtout j’écoute le vendeur faire son speech pour forcer la main à la grand-mère. Le gamin lui semble connaître le jeu et se garde bien de faire un commentaire de peur de voir le jeu lui passer sous le nez. Au bout d’un moment, j’ai précisé à la grand-mère ET au vendeur que le jeu était interdit au moins de 18 ans (en montrant le PEGI). Le regard que le vendeur a porté sur moi en disant long sur son envie de m’insulter copieusement. J’ai été effaré de voir le vendeur sans aucun remord essayer de vendre un PEGI 18 à un enfant de 12 ans. Je n’étais pas obligé d’intervenir non plus, mais sur le moment ça m’a semblé aussi normal que de refuser d’acheter des clopes à un gamin de 12 ans ou laisser un buraliste lui vendre du porno. Ce laissé aller au nom du business et du profit, ce n’est pas nouveau, mais parce que ce sont les jeux vidéo on peut transgresser les avertissements.
    On a tous fait ça étant gamin, essayer de passer outre les interdictions : acheter de l’alcool avant 18 ans, matter un porn sur canal, …
    Mais dans le cas des jeux vidéo les distributeurs n’ont aucun remords à pousser à transgresser ses protections. Pourquoi ? Parce que c’est « juste » du jeux vidéo. Tout les acteurs doivent se remettre en question, des éditeurs aux distributeurs.

  11. @Coute :  » Là où Claire Gallois a tort sur sa réplique : “vous êtes en pleine violation de l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève” , c’est que le vous s’adresse uniquement aux joueurs, alors que l’éditeur de ces jeux devraient être mis en cause bien plus que les joueurs.  »

    Ma réflexion n’est pas là pour désigner un coupable, mais pour montrer que dans cette prise de becs le jeu video n’est pas montré comme une chose irrationnelle.

    C’est la différence entre les années 90 où c’était un gri-gri rendant fou ( Super Mario pousse à la prise d’otage ? Seriously ? ), là les attaques sont ciblé vers des jeux reconnus comme violents ou possédant une véritable force sociétal.
    Sa réflexion est idiote et biaisé, mais le jeu est considéré comme un véritable média. Ce qu’il est, ce qu’il peut être.

    à partir de là on devrais se poser des réelles questions sur les messages véhiculés et sa participation dans notre conception du monde, comme pour tout le reste.
    Pour l’ instant ça ne fait que commencer et c’est malheureusement encore des charlots de l’ancienne garde qui soulèvent, par accident, cette interrogation. Alors que c’est à nous de se poser ces questions.

  12. je me permets de faire tourner ma pétition^^ elle ne servira a rien, je le sais, je veux juste prouver que nous sommes une vrai communauté (et non, je n’ai pas 16 ans)

  13. @vonvlad :
    Je veux bien publier ton commentaire, en présentant le lien de manière « élégante » parce qu’il était un peu long. Pour le reste, il va de soi que je n’approuve pas le principe d’une telle pétition, et que je suis plus que réservé sur le terme de « communauté », que je préfère mettre entre gros guillemets.

  14. Et voilà, c’est reparti…
    http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2012/12/15/theories-a-gogo-newtown-la-faute-aux-jeux-video-aux-pokemon-ou-a-facebook/

  15. @Romain :
    Moui, n’exagérons rien non plus. Un type sur BFMTV + 1 type sur Fox News + une poignée de gusses sur Facebook, ça ne suffira pas pour « repartir ».

    Pour info, je suis allé sur la page Facebook de Mass Effect, juste pour voir les effets de la shitstorm. J’y ai perdu des millions de neurones, mais j’ai quand même pu comparer :

    – Nombre de comms blamant Mass Effect pour la tragédie : entre 150 et 200. Certes, ce serait impressionnant si c’étaient des commentaires de blog, mais…

    – Nombre de comms défendant Mass Effect ou Bioware : plus de 3000. Et les auteurs des comms précédents rasent les murs.

    Alors bon, il n’y a pas (encore) de quoi s’en faire.

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