On jouait déjà avant ta naissance, donc on a raison

La parole à l’accusation : Regine Pfeiffer

Par • le 9/4/2010 • Entre nous

Quand j’ai inauguré cette série de traductions d’articles et d’interviews critiques en provenance d’Allemagne, j’affirmais ceci : « Parmi ces critiques de la violence des jeux vidéo, ma préférence va à Regine Pfeiffer, qui a réussi à inspirer le respect aux gamers allemands en allant chercher le dialogue, et en le maintenant contre vents et marées, malgré ses prises de position très “tranchées” et l’hostilité qu’elles ont pu générer initialement ». Il est donc temps de vous la présenter plus plus en détail, surtout après les deux tâcherons que je vous ai précédemment infligés.

Regine Pfeiffer, coiffée à la brosse
since 198x

Les choses avaient pourtant très mal commencé. En 2007, Regine Pfeiffer, sœur du criminologue (et adversaire notoire des jeux vidéo) Christian Pfeiffer, a pris publiquement la défense d’un reportage crapuleux diffamatoire diffusé sur la première chaîne allemande, où on affirmait notamment que le but de GTA San Andreas était de violer le maximum de femmes (il est vrai que la posture ne manquait pas de panache si l’on considère la tempête de protestations que ce reportage a déclenchée. La même année, lors d’une discussion houleuse, elle a apostrophé le journaliste vidéoludique Gunnar Lott de la sore : « Ah, vous… vous… espèce de First-Person Shooter ! » (Gunnar Lott l’avait raconté sur son blog, mais la page n’existe plus). Mais c’est fin 2008, lors de la conférence « Computerspiele und Gewalt » qui a réuni à Munich le gratin des « anti-killerspiele », qu’elle a acquis une notoriété dont elle se serait bien passée, en s’en prenant publiquement au jeu Le Parrain et à son éditeur, Electronic Arts, qu’elle a traité pour l’occasion de « schweinefirma » (« compagnie de porcs »). Sa diatribe a fait le tour du monde, et elle est devenue le nouveau symbole des « anti-jeux vidéo » (son soutien à l’Appel de Cologne, qu’elle a signé comme son frère, n’a rien arrangé). Même EA a répliqué (ce qui n’est pas courant) en réclamant publiquement des excuses. Puis tout le monde est passé à autre chose.

Tout le monde, sauf Regine. En janvier 2009, elle a pris l’initiative de contacter le site vidéoludique Cynamite.de afin de donner sa version des faits : pourquoi et dans quel contexte elle a traité EA de « compagnie de porcs », ce qu’elle reproche concrètement aux jeux comme Le Parrain ou GTA 4, et quels ont été ses échanges avec Martin Lorber, le responsable des relations publiques d’EA en Allemagne (qui lui a demandé des excuses en publiques, tout en étant bien plus mielleux en privé). Elle a même été jusqu’à s’inscrire sur le forum de Cynamite.de pour répondre directement aux joueurs et défendre ses positions. Inutile de dire qu’au début, elle en a pris plein la figure. Pas seulement pour ses propos, mais aussi pour ceux qui comme elle ont été étiquetés « anti-jeux vidéo ». Mais malgré le barrage de critiques parfois franchement agressives, elle a tenu bon, défendu pied à pied ses prises de positions, et continué tant bien que mal le dialogue. Et ses interlocuteurs ont pu se rendre compte qu’en plus de son ouverture d’esprit, sa compétence et son honnêteté intellectuelle étaient très au-dessus des détracteurs habituels des « killerspiele » auxquels elle a été abusivement assimilée. Pour preuve, elle est allée jusqu’à jouer aux jeux qui lui posaient problème afin de se faire sa propre opinion (ou alors, elle demandait à d’autres d’y jouer pour qu’elle puisse observer le contenu).

De fil en aiguille, Frau Pfeiffer est passée du statut d’ennemie publique à celui de curiosité, puis d’invitée d’honneur dans les forums, expositions ou évènements relatifs au jeu vidéo et à l’eSport. En tout cas, elle a fini par être considérée comme une critique des jeux vidéo avec laquelle les joueurs peuvent discuter honnêtement. Voici justement deux traductions de comptes-rendus d’entretiens avec elle par des sites vidéoludiques allemands. Le premier a été publié par nul autre que Cynamite.de, peu après qu’elle les ait contactés et se soit inscrite sur leur forum. Le deuxième, beaucoup plus court et plus synthétique, fait suite à une rencontre avec Gamers Against Rejection (qui avait déjà interviewé Rainer Fromm) lors d’un évènement lié à l’eSport où elle était invitée.

A présent, bonne lecture (et pour une fois, je peux le dire sans ironie) :

Discussion sur les killerspiele : Entretien avec la critique des jeux vidéo Regine Pfeiffer

(Cynamite.de, 22 avril 2009)

Première partie : Qui est Regine Pfeiffer ? Qu’est-ce qui la motive ? Pourquoi est-ce qu’elle se penche sur le sujet des jeux vidéo ?

La femme qui nous attend à la réception est de prime abord le cauchemar de la communauté des joueurs : Regine Pfeiffer, soeur du criminologue Christian Pfeiffer, est connue en particulier pour sa déclaration à l’emporte-pièce : « Et c’est avec ceci que cette compagnie de porcs [EA] gagne son argent ». Aux côtés de son frère, elle fait partie des critiques des jeux vidéo les plus connus en Allemagne. Son sujet : les dangers de l’addiction à, et de la violence dans, les jeux vidéo et sur ordinateur.

Pfeiffer est invitée partout en Allemagne pour des conférences et des séminaires. Elle parle du danger de l’addiction aux jeux de rôle en ligne tels que World of Warcraft et de la violence dans les jeux d’action tels que GTA IV ou Le Parrain. L’ancienne professeure d’allemand a 68 ans. Une femme de son âge peut-elle seulement comprendre une culture qui a émergé longtemps après sa propre jeunesse ? Qu’est-ce qui l’incite, passée sa retraite, à informer les gens sur les jeux vidéo qui sont, de son point de vue, dangereux ?

Malentendu

Il serait plus facile d’ignorer Regine Pfeiffer, tout simplement. De la cataloguer comme une rombière aux idées tordues, qui discute avec nous uniquement pour attirer l’attention des médias, voire pour amener des parents naïfs à interdire à leurs enfants les jeux vidéo et les magazines vidéoludiques tels que Games Aktuell.

Cependant, si nous ignorions Regine Pfeiffer ou d’autres adversaires des jeux violents, alors nous devrions subir le même reproche que nous adressons aux critiques hystériques des jeux vidéo et aux forcenés de l’interdiction : l’incapacité à discuter objectivement les arguments du camp d’en face. En effet, les enseignements qu’on en tire nous font avancer beaucoup plus que toute action, dans le fond embarrassante, du genre : « les tueurs ont mangé du pain – interdisons les produits à base de blé ! »

C’est pour cela que nous avons accepté l’offre de Regine Pfeiffer, qui était de venir chez elle pour un débat constructif. La rencontre a duré plusieurs heures. Madame Pfeiffer a parlé franchement et en détail de ses motivations et de ses opinions sur les « killerspiele » tels que Le Parrain, Grand Theft Auto IV, Bioshock ou World of Warcraft. Pfeiffer recherche même le dialogue avec la communauté des joueurs, entre autres ici dans les forums de Cynamite.

Deuxième partie : Pourquoi les jeux ont-ils des effets différents sur les consommateurs ? Quels sont les problèmes qui en résultent ?

La violence et ses effets

Première surprise: Regine Pfeiffer connaît effectivement les jeux vidéo – du moins beaucoup plus que beaucoup de ses compagnons d’arme. Chaque jour, elle s’informe de l’actualité du jeu vidéo sur les sites spécialisés, et elle travaille avec des jeunes qui jouent aux jeux en sa présence.

Deuxième surprise: Elle refuse catégoriquement le reproche selon lequel elle mène une campagne contre les jeux vidéo. Son rapport avec les jeux qu’elle critique est ambivalent. Par exemple, bien qu’elle admette le danger d’addiction à World of Warcraft, il s’agit selon elle du plus beau jeu qu’elle ait jamais vu. Elle loue expressément GTA IV pour ses moments satiriques, même si la violence de ce jeu la rebute.

Troisième surprise: Pour elle, l’essentiel n’est pas de débattre d’une interdiction, mais de démontrer la violence et le risque d’addiction des jeux. Certes, selon elle, les personnes « qui ont les pieds sur terre » peuvent gérer la violence de ces jeux. Mais ce genre de personnes ne constitue pas la majorité des joueurs. Plus que l’interdiction, la question importante selon elle est de savoir pourquoi, dans le fond, la violence est nécessaire dans les jeux. Ce qui la préoccupe le plus, ce sont les effets de la violence des médias.

Perceptions subjectives

Pour comprendre Regine Pfeiffer, il faut réaliser une chose : la violence dans les jeux vidéo est perçue de différentes manières, en fonction des expériences personnelles, du goût et de la connaissance du domaine.

A titre d’exemple, Regine Pfeiffer a été choquée que dans Crysis, on puisse « tout simmplement » dégommer des poulets innofensifs, à tel point qu’elle en a fait des cauchemars. Elle explique cette différence de perception de la violence, non seulement par le fait qu’elle a grandi dans une ferme, mais aussi par la désensibilisation qu’entraîne la pratique régulière de jeux violents. La théorie selon laquelle les consommateurs de médias sont blasés par la représentation fictionnelle de la violence a été mise en avant depuis longtemps par les critiques des médias, mais n’a jamais pu être définitivement prouvée.

Là où de jeunes gamers ne voient qu’une simple quête de World of Warcraft dans laquelle il faut tuer des singes virtuels, Regine Pfeiffer fait immédiatement un lien avec la réalité, malgré le style graphique cartoonesque. Dans un cas comme dans l’autre, la violence contre les gorilles est quelque chose de terrible, car les grands singes luttent réellement pour leur survie en Afrique. Regine Pfeiffer refuse catégoriquement l’argument selon lequel tout cela n’est pas réel, et que les deux ne sont absolument pas comparables.

L’effet du langage

La représentation de la violence n’est pas la seule à jouer un rôle pour Regine Pfeiffer. Elle trouve aussi dans certains jeux, manuels et guides stratégiques, des contenus répugnants, comme par exemple l’utilisation de jargon nazi, c’est-à-dire des termes péjoratifs utilisés pendant la période nazie.

Elle-même a vécu à l’époque d’Hitler et de Staline, et en a été marquée. Le langage employé dans certains guides stratégiques, les différents termes utilisés pour décrire l’élimination des adversaires, tout cela est à ses yeux immoral. Le maquillage sémantique des activités violentes qui est censé les rendres plus acceptables lui rappelle le langage euphémisant des nazis. Regine Pfeiffer trouve choquant l’emploi de termes comme « nettoyer » au lieu de « tuer ». Selon elle, « cramer » est certes cynique, mais constitue tout de même un meilleur choix car c’est un terme fort, imagé, qui ne dissimule rien.

« Après tout, vous pouvez apercevoir combien je suis effrayée », c’est ainsi que Pfeiffer résume l’effet de ces titres sur elle, et c’est aussi de cette manière, souligne-t-elle, qu’elle se met dans la peau des joueurs. Pour Bioshock, elle considère l’option consistant à « récolter » les petites soeurs (le terme original étant « harvest ») comme l’abus par excellence. Rien que l’option de les « sucer jusqu’à la moelle » est immorale pour Regine Pfeiffer, car les filles virtuelles deviennent des objets soumis au bon plaisir du joueur. Quand nous lui avons demandé si elle trouvait mal qu’un joueur puisse être confronté à des choix moraux, ou plus précisément si elle préférait ne voir que des jeux où on peut prendre uniquement des décisions moralement correctes, elle a éludé la question. A titre d’exemple, elle trouve que la présence de marchands d’esclaves dans Fallout 3 est amorale et cynique, parce que même si on peut libérer des prisonniers, on peut également essayer d’en capturer.

Troisième partie : La protection allemande de la jeunesse est-elle suffisante ? Qu’est-ce qui heurte Regine Pfeiffer dans le jeu d’action Le Parrain d’Electronic Arts ?

La protection de la jeunesse en Allemagne est-elle insuffisante ?

Pour Pfeiffer, le système allemand de protection de la jeunesse n’est pas suffisant. Selon elle, ce sont les enfants qui sont le plus enclins aux comportements violents qui jouent le plus aux jeux violents. Même les élèves d’école primaire joueraient déjà à GTA, et pas question de recourir à l’argument de la responsabilité parentale. Il faudrait plutôt durcir le système existant de protection de la jeunesse, à l’aide de plus d’indexation. Cette dernière est selon elle une mesure judicieuse de protection de la jeunesse, parce qu’il est difficile de s’informer sur un jeu indexé, ce qui rend l’accès à un tel jeu plus compliqué.

Elle reproche à l’USK d’appliquer de mauvais critères pour l’évaluation des jeux. Il est vrai qu’elle n’a pas d’alternative immédiate, mais elle pense que le personnel du KFN (l’Institut de Recherche en Criminologie de Basse-Saxe, dirigé par son frère Christian Pfeiffer) a déjà fourni un bon travail dans cette voie. Elle se réfère à une étude comparative du KFN dans laquelle l’Institut a testé plusieurs jeux en fonction de leur menace potentielle sur la jeunesse.

Dans cette étude, les criminologues ont conclu qu’une grande partie des jeux avaient reçu de l’USK une classification trop basse, ou bien auraient même dû être indexés. Par contre, la manière dont Regine Pfeiffer est arrivée à une telle conclusion n’est pas claire, car l’USK prend en compte la violence dans l’ensemble du jeu, ce que le KFN n’a pas fait dans son étude.

Selon Pfeiffer, qui rejoint ici Craig Anderson, la classification acutelle des jeux vidéo en fonction de leur âge serait une mauvaise idée. Grâce à l’obligation de mettre une limite d’âge, les éditeurs auraient la part belle, et pourraient proposer des jeux au contenu très violent mais sous couvert d’une recommandation d’âge. Ils n’auraient pas eu cette liberté auparavant, parce que le jeu aurait été obligatoirement produit pour l’ensemble du marché. Ce qui est totalement faux, car dans l’histoire du jeu vidéo, il y a toujours eu des produits qui n’étaient pas censés être pour la jeunesse. D’autant plus que le cachet de l’USK n’empêche pas un jeu d’être saisis par la Justice s’il s’agit réellement d’un jeu qui glorifie la violence. Il est aussi intéressant que Pfeiffer n’ait pas l’air de reconnaître l’existence de jeux pour adultes : « je ne comprends pas pourquoi des jeux tels que Le Parrain doivent exister. »

Le Parrain comme Tête de Turc

Tout comme le KFN, Regine Pfeiffer ne pense pas beaucoup de bien du Parrain, qui selon elle devrait être indexé. Non seulement ce jeu est la raison de sa sortie sur la « compagnie de porcs ». Mais elle trouvait que la représentation de la violence y était tellement répugnante qu’elle a initié une action en justice contre EA pour apologie de la violence, action qui a rapidement tourné court. Pfeiffer a reproché à EA de miser avec Le Parrain sur une surenchère dans la violence afin de rendre le jeu plus intéressant, et donc de supplanter GTA.

Elle critique en particulier le fait que le jeu récompense une brutalité sans cesse accrue. Pour « sauver l’honneur » des joueurs, elle admet cependant que le jeu ne s’est pas bien vendu, et a été ignoré par une grande partie des joueurs à cause de la répétitivité des missions d’assassinat, qui s’enchaînent bêtement l’une après l’autre.

Quatrième partie : Sur quelles thèses scientifiques repose l’argumentation de Regine Pfeiffer ? Et que dit la Science ?

Craig Anderson, chercheur américain sur la violence des médias, est fréquemment cité dans les présentations de Regine Pfeiffer et de nombreux autres critiques des médias. Anderson publie depuis des années des études autour du sujet de la violence des médias, qui débouchent sur des résultats spectaculaires, et qui concluent que le lien entre cette violence et la violence réelle serait plus fort que le lien entre tabagisme et cancer du poumon.

Le seul problème est que les études d’Anderson ne se déroulent pas selon des critères scientifiques, ce qui lui a valu beaucoup de remontrances de la part de véritables spécialistes (Cynamite a déjà écrit sur le sujet). A titre d’exemple, Anderson a comparé dans une étude la vitesse avec laquelle les joueurs peuvent lire à haute voix des mots agressifs et non-agressifs. Comme les joueurs de FPS étaient plus rapides que les joueurs de jeux non-violents, il a conclu que les médias contenant de la violence rendaient fondamentalement plus agressifs. Une supposition qui est scientifiquement intenable, mais qui est souvent reprise sans aucun recul critique.

Tandis que Regine Pfeiffer le cite abondamment et religieusement, lui et d’autres critiques des médias, afin d’appuyer ses propres théories, elle n’a que des quolibets à opposer au camp d’en face. Elle voit Jurgen Fritz et ses collègues du Projet Spielraum [jeu de mots : littéralement « salle de jeux », ce terme veut dire en réalité « marge de manoeuvre] de Cologne, destiné à promouvoir l’éducation aux médias, comme une « bande de bras cassés », elle considère leur publication Computerspiele verstehen [« Comprendre les jeux vidéo »] comme un « livre épouvantable », et dans ses présentations, elle démonte avec minutie les faiblesses linguistiques de Fritz au lieu de discuter de son contenu. Ce n’est pas comme ça que devrait se dérouler une discussion scientifique objective.

Comment gérer la critique

Malgré sa critique très personnelle et subjective, elle est étonnée d’avoir été accueillie lors de son inscription sur le forum de Cynamite par un « barrage de mépris » et conclut : « je pense aussi que cette violence verbale peut être la conséquence du jeu ». Cependant, elle admet qu’elle peut comprendre que la colère des joueurs monte vite. La comparaison entre « la pédopornographie et les killerspiele » que certains politiciens ont montée de toutes pièces est à ses yeux totalement disproportionnée. Pendant toute la « discussion sur les killerspiele », nous les joueurs avons quand même été insultés et comparés à des négationnistes, des meurtriers, des tueurs de masse et des abuseurs d’enfants.

Pfeiffer trouve aussi déplorable que la discussion sur les tueries de masse soit liée à celle sur la violence des jeux vidéo. Le mur d’incompréhension entre les joueurs et les critiques des jeux vidéo est sans cesse renforcé par des reportages polémiques et dénués d’objectivité, et empêche tout rapprochement, ainsi que toute discussion objective sur le sujet. Dans les discussions publiques auxquelles elle prend part, Regine Pfeiffer met explicitement en garde contre la diabolisation des joueurs.

Est-ce qu’elle regrette d’avoir taxé EA de compagnie de porcs ? « Non, pas le moins du monde. Ni la déclaration, ni la discussion qui s’est ensuivie. »

Notre conclusion

Après la sortie sur la compagnie de porcs, nous nous attendions à une discussion qui serait du même tonneau, qui tomberait aussi bas. A cet égard, nous avons été agréablement surpris. Regine Pfeiffer s’est renseignée intensivement sur le sujet, et elle est parfaitement capable de discuter objectivement. Bien entendu, sa sortie sur la compagnie de porcs ne lui a pas rendu service – après un tel dérapage, il est difficile de la prendre au sérieux.

Il n’y a pas eu de véritable rapprochement. En effet, autant Regine Pfeiffer argumente avec sérieux, autant ses thèses restent scientifiquement douteuses. Elle reste presque complètement hermétique aux arguments adverses, et elle élude les questions les plus importantes.

Est-ce donc si abominable de prendre du plaisir devant la violence des jeux ? Est-ce que les jeux sont réellement responsables d’une altération de la manière dont on perçoit le monde réel ? Faut-il considérer les jugements moraux de Regine Pfeiffer comme des prescriptions qui s’appliqueraient à tous ?

Malgré nos différends, on ne peut pas lui prêter de mauvaises intentions. Ce sont des objectifs honrables que d’inciter les parents à s’intéresser de plus près aux jeux auxquels leurs enfants jouent, et d’informer sur les risques réels d’addiction.

On aura beau dire, les véritables dangers liés à la brutalisation et la désensibilisation du comportement humain résident toujours ailleurs : statut social, environnement, réussite dans la vie. Ces aspects risquent de passer au second plan, tant que le jeu vidéo restera perçu avec une telle hostilité.

La pédagogie protectionniste à laquelle Regine Pfeiffer semble souscrire, c’est-à-dire celle qui veut protéger les adolescents des influences prétendument négatives, peut sans doute combattre quelques symptômes – mais pas les causes.

Protection de la jeunesse – Interview avec Regine Pfeiffer

(Gamers Against Rejection, 06 octobre 2009)

Vendredi dernier, lors du 4ème Intel Friday Night Game de la 15ème saison des ESL Pro Series qui s’est déroulée à la Gare Postale de Berlin, plus de 1000 spectateurs communiaient avec leurs vedettes de l’eSport. Dans le cadre du « Jugendschultztalk vor Ort » [« discussion sur la protection de la jeunesse »], nous avons eu le plaisir d’accueillir, pratiquement en tant qu’invitée d’honneur, Madame Regine Pfeiffer, sœur du criminologue et célèbre adversaire des jeux vidéo Christian Pfeiffer. Nous avons pu discuter courtoisement pendant plus d’une heure avec Madame Pfeiffer, et voici quelques éléments de sa pensée :

Les « dix commandements de Pfeiffer » (Note de la rédaction : nous vous épargnons nos commentaires)

1. L’eSport est une chose formidable. L’esprit d’équipe et l’atmosphère à cet évènement sont magnifiques.

2. De tous les jeux controversés, CounterStrike est le moins terrible.

3. Une interdiction des jeux d’action est insensée, et rentre en contradiction avec la Constitution.

4. Je ne suis pas CONTRE les jeux – ce serait trop généralisant.

5. World of Warcraft (et particulièrement Rise of the Lich King) est bien plus dangereux que CounterStrike.

6. Le Parrain et GTA sont épouvantables.

7. Le monde s’écroule, et vous êtes en train de vous amuser ! Qui va sauver les ours blancs ?

8. Command & Conquer est aussi abominable, on y fait pleuvoir des bombes atomiques.

9. Le Centre d’Education Politique (Bundeszentrale für politische Bildung) fait ici (sur cet évènement) de la publicité pour les jeux vidéo avec l’argent du contribuable.

10. Finalement, Madame Pfeiffer a pris congé en disant : « Auf weiterhin gute Feindschaft » [jeu de mot ironique entre l’expression bien connue : « Auf weiterhin gute Freundschaft », littéralement « je souhaite que notre amitié dure », et le mot « Feindschaft », qui signifie au contraire l’inimitié.]

A la fin, nous avons dû constater que Madame Pfeiffer continue à manquer d’une réponse à nos questions dans le cadre de la pédagogie des médias, et que nous n’avons pas pu trouver de terrain d’entente concernant les points critiques de cette soirée. Nous aimerions rediscuter de cela lors d’un autre tour de table, peut-être même avec Christian Pfeiffer comme autre invité.

« Nous savons rarement à l’avance avec qui nous serons assis lors de la discussion, mais nous sommes toujours ravis de la grande compéténce des participants, et des discussions très objectives », a dit Gerald Jörns du site Computerspielberatung.de. Volker Dorn, de Gamers against Rejection, est d’accord : « Je suis toujours surpris par le niveau de connaissance que certains invités possèdent. Ceci montre que les gens s’intéressent énormément au sujet, et qu’ils sont prêts à participer à de nouvelles solutions ».

Remarques additionnelles (Shane_Fenton) :

J’aurai bientôt quelques commentaires à faire, notamment sur le compte-rendu de Cynamite, car bien qu’il soit intéressant, je trouve qu’il ne laisse pas suffisamment la parole à Regine Pfeiffer. Je trouve également que les objections qui lui sont faites sont parfois biaisées. Ceci étant, j’espère que ces deux traductions vous auront permis de mieux connaître cette femme, qui le mérite amplement.

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est joueur depuis les années 80, et joueur passionné depuis 1990. Ouais, à peu près comme tout le monde ici, quoi. Sauf qu'en plus, il cause. Beaucoup. Mais alors beaucoup. C'est pas sain pour lui qu'il cause autant. Faudrait plutôt qu'il joue.
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5 commentaires »

  1. Merci pour ces traductions, qui nous permettent de mieux comprendre ce qu’il se passe là bas :-)

  2. Quand nous lui avons demandé si elle trouvait mal qu’un joueur puisse être confronté à des choix moraux, ou plus précisément si elle préférait ne voir que des jeux où on peut prendre uniquement des décisions moralement correctes, elle a éludé la question.

    C’est celà qui me pose le plus gros problème avec le raisonnement de Regine Pfeiffer. Ne proposer que des jeux où l’on dirige un Bisounours, ne pas permettre au joueur de mettre en balance son propre sens de la morale serait profondément hypocrite.

    J’ai aussi du mal à la prendre au sérieux quand elle dit qu’une majorité de joueurs n’est pas psychologiquement apte à différencier la violence des jeux de celle de la réalité…

  3. Elle a sûrement le mérite d’écouter et de tenter de comprendre ses interlocuteurs, reste qu’elle n’a quand même pas grand chose à dire.
    Ses arguments sont souvent boiteux, sans parler de ses absences de réponse à des questions primordiales qu’on pourrait facilement traduire pour un refus de voir la réalité en face et une obstination un peu malhonnête à camper sur ses positions.

    Stigmatiser toute une communauté à cause de quelques individus inaptes à distinguer la violence virtuelle de la violence réelle (oui, il y en a, on ne va pas le nier), ce n’est pas très malin et elle a l’intelligence de ne pas le faire.
    Mais il semble alors encore plus absurde de prôner des interdictions de contenus jugés « trop mâtures » avec pour principal argument qu’elles vont créer des déviances chez ces individus « inaptes ». Priver tout le monde pour « protéger » certains de leurs propres tares me paraît tout bonnement aberrant.

    Que certains ne soient pas toujours très équilibrés est un fait. Mais il y a de la noirceur en chacun de nous. A force de nier ce côté obscur de la force, on n’apprendra plus à nos enfants à la maîtriser et à leur expliquer pourquoi elle est parfois nocive, elle va juste exploser et puis c’est tout.

    Comme tu l’explique très bien dans la partie « notre conclusion », les véritables causes (…) résident toujours ailleurs : statut social, environnement, réussite dans la vie. Des paramètres sur lesquels, quand on est homme ou femme politique, on peut influer sans priver les honnêtes citoyens de leur liberté et leurs besoins d’accéder à des contenus riches et variés.

    Merci en tout cas, l’interview et tes réflexions sont très intéressantes.

  4. Attention attention, à part l’intro en italique et les quelques « remarques additionnelles » à remanier, rien n’est de moi : je n’ai fait que publier la traduction de deux comptes-rendus d’interview faits par des sites vidéoludiques allemands. La partie « notre conclusion », par exemple, provient de l’interview de Pfeiffer par le site Cynamite.de. D’ailleurs, je ne suis pas toujours d’accord avec eux et je trouve qu’ils ne laissent pas assez la parole à celle qu’ils interrogent.

    Quant à elle, étant donné qu’elle est venue vers les joueurs, et qu’elle a maintenu le dialogue bien qu’elle s’en soit pris plein la gueule au début, je peux (presque) tout lui pardonner. Sur l’interdiction de certains jeux, elle m’a l’air plutôt contre, si on en croit le deuxième compte-rendu d’interview que j’ai publié.

  5. Bon, alors bravo à eux et merci à toi !

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